Deux soirs d'affilée, The National se produit à Montréal afin d'y déballer gracieusement la matière de son septième album studio, et plus encore. Guitariste et compositeur chevronné, Bryce Dessner nous explique les tenants et aboutissants de ce Sleep Well Beast.

«Ce n'est peut-être pas perceptible d'emblée, mais ça l'est assurément pour les membres du groupe: un changement s'est produit», explique Bryce Dessner.

«Ce nouvel album, en fait, est traversé par une conversation. Bien sûr, l'échange existait dans notre travail antérieur, mais il n'était pas aussi marqué. Les surimpressions sonores, ces couches épaisses s'ajoutant les unes aux autres pour former un tout, tout ça révèle cette conversation de qualité entre personnalités distinctes.»

Les membres de The National sont dispersés, cela pourrait expliquer la qualité de la rencontre, en studio comme sur scène.

«Il y a près de 18 ans, rappelle Bryce Dessner, nous étions partis de l'Ohio pour nous installer à Brooklyn. Aujourd'hui, mon frère Aaron vit dans la vallée de l'Hudson [au nord de New York] où il a construit un studio. Personnellement, je réside à Paris, j'y ai fondé une famille avec ma femme française, et ainsi de suite pour Matt [Berninger] et les frères Devendorf.»

Lorsque les deux paires de frangins et leur chanteur se retrouvent dans le studio d'Aaron, la collaboration s'avère effervescente, assurément plus intense.

«Dans le studio d'Aaron, nous sommes un peu comme chez nous, ce qui est différent des contextes des enregistrements précédents. Lui et moi écrivions séparément par le passé, nous avons souvent composé ensemble cette fois. Bryan et Scott étaient dans les parages pendant le processus créatif, ce qui en a aussi teinté les musiques.»

Qui plus est, cette proximité a généré une plus grande liberté conceptuelle.

«Des orchestrations plus subversives se trouvent au premier plan, fait observer notre interviewé. Il y a cette dimension expérimentale, ces idées également issues d'improvisations. Cet enregistrement témoigne aussi d'une énergie brute libérée par le groupe lorsqu'il se produit sur scène. À cause de cette crudité, cependant, on peut avoir l'impression qu'il se passe moins de choses dans la musique alors qu'il s'en produit plus.»

Dans le Planetarium

Diplômé de la prestigieuse Université Yale, Bryce Dessner mène une carrière parallèle de compositeur en musique contemporaine. Il a écrit entre autres pour le Kronos Quartet, le Los Angeles Philharmonic, l'orchestre de chambre Britten Sinfonia, l'orchestre à cordes Scottish Ensemble ou le Norwegian Chamber Orchestra. Il est aussi le fondateur et le directeur artistique du festival MusicNOW, présenté annuellement à Cincinnati.

Associé à l'élite de la génération indie rock comme l'est son grand ami montréalais Richard Reed Parry d'Arcade Fire, il est aussi un des protagonistes de Planetarium, projet conjointement mené par Sufjan Stevens, Nico Muhly et le batteur James McAlister.

«Sufjan est proche de nous depuis nos débuts. J'ai personnellement participé à maintes sessions de ses enregistrements. Nico et moi sommes tous deux compositeurs et musiciens de formation, nous partageons cette connaissance.»

D'où cette commande d'un théâtre hollandais, Muziekgebouw Eindhoven, qui a mené à la création et la production de Planetarium. Ces brillants garçons ont ainsi vécu à fond cette «folle aventure», incluant même un passage pour sept trombones et quatuor à cordes.

«Ce n'était pas exactement de la chanson! Nous n'avons pas essayé de garder les choses simples; nous sommes allés aussi loin que nous le pouvions dans ce contexte. Encore l'été dernier, nous avons tourné un peu cette musique, sans la pression d'un groupe. Nous pourrions le faire de nouveau.»

Simplicité/complexité

Pour Bryce Dessner, cette dimension de son art n'a pas toujours été évidente au sein de The National, mais elle l'a été dans le processus créatif entourant Sleep Well Beast.

«J'étais plutôt un guitariste du groupe. The National a eu longtemps ce parti pris pour la simplicité, quoiqu'une certaine complexité, dans les arrangements, dans les rythmes, pouvait se dissimuler dans les chansons. Or, cette fois, la complexité et la simplicité cohabitent. C'est organique, mieux fusionné.»

Dessner cite l'exemple de Born to Beg, qui se conclut par un canon de guitares très proche de l'esthétique contemporaine. Cette subtilité compositionnelle se trouve çà et là dans l'album, notamment au coeur des chansons I'll Still Destroy You ou Dark Side of the Gym - cette dernière s'inspirerait de l'album Death of a Ladies' Man de Leonard Cohen, réalisé par Phil Spector.

«Cela peut exiger parfois une exécution difficile, mais cela fonctionne avec nos nouvelles chansons. Le choc peut donc se produire et j'en suis très fier. C'est, je crois, l'album de The National où nous sommes allés le plus loin.»

Bryce Dessner précise en outre que la matière poétique de Sleep Well Beast a mené à ce résultat musical: «Le texte contribue à façonner la musique. Fort heureusement, nous nous appuyons presque toujours sur les textes de Matt, nous nous connectons rapidement à ses mots. Il est très rare qu'une chanson existe sans une forte contribution de sa part.»

Sur scène? Le musicien signale que le plaisir est plus grand que jamais.

«Le groupe est plus aventureux que jamais il ne l'a été auparavant. Il y a plus d'espace dans l'interprétation, des éléments électroniques se greffent aux exécutions, il y a une ouverture à l'improvisation ici et maintenant. Nous pouvons compter désormais sur un vaste répertoire et le choix du répertoire peut changer d'un soir à l'autre. Nous pouvons varier à ce point, car nous n'avons pas de tubes, haha!»

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Au MTELUS, ce soir et demain, à 20 h.

Photo archives AP

Bryce Dessner, Matt Berninger, Bryan Devendorf, Scott Devendorf et Aaron Dessner du groupe The National.