Charlotte Gainsbourg a fait paraître il a deux semaines son quatrième album studio, le magnifique Rest, à la fois mélodique et mélancolique, réalisé par le Français Sebastian. La chanteuse et actrice, de passage à Montréal en septembre, nous a parlé de ce qui distingue ses deux métiers et de son père Serge, dont l'aura plane sur cet album aux notes électros, aussi sombre (dans ses thèmes) que lumineux (dans ses musiques). Deuxième volet de cet entretien.

Est-ce bien différent d'être dirigée en studio par un réalisateur comme Beck ou SebastiAn que de l'être sur un plateau de cinéma par Claude Miller ou Lars von Trier, par exemple ? Y a-t-il des parallèles à faire ?

Je les cherche toujours, les parallèles, mais ils n'y sont pas, en fait. Ils n'y sont vraiment pas. Ce sont deux mondes qui n'ont rien à voir. Pour moi, c'était similaire quand j'étais dirigée par mon père [pour l'album Charlotte For Ever] parce qu'il abordait ça comme un metteur en scène même s'il était chef d'orchestre.

Et vous étiez l'interprète...

Oui. Il me guidait - ma mère en parlerait mille fois mieux que moi parce je n'ai eu qu'une seule expérience avec lui...

Et vous étiez jeune !

J'étais très jeune. Mais il était avec moi, à côté du micro, et il faisait des gestes et il me demandait de sourire, d'être grave. Il était vraiment très directif et c'était lui qui savait très précisément ce qu'il voulait. Après, il y avait des accidents qui étaient heureux pour lui, où la voix cassait ou je chantais un peu faux. C'étaient des choses qu'il recherchait et qui faisaient que c'était un peu unique. Depuis l'album que j'ai fait avec Air [5:55], j'étais à la recherche de ça : de quelqu'un qui allait me guider. Et en fait, je ne l'ai jamais trouvé parce que ce n'est pas ça.

Ça vous a obligée à vous approprier vos albums et les assumer...

Oui. Ce sont devenus mes albums à moi. Il a fallu que j'en prenne possession. Et donc l'exercice est très différent des films. Avec les films, je me prête complètement au jeu d'être une pâte à modeler d'un metteur en scène, même si j'y mets beaucoup de moi. On se cache un peu, mais on y met beaucoup de sa personne et de son intimité, mais tout ce que je cherche, c'est d'être manipulée par un metteur en scène.

Ça m'intéresse que vous me parliez de cette différence si grande entre les deux métiers parce que je m'étonnais d'apprendre que vous aviez encore peur d'être sur scène. Sans doute parce que je me suis dit qu'étant donné que vous étiez aussi actrice, ce ne devait pas être si compliqué pour vous...

En fait, ça n'a rien à voir. Justement, sur scène, quand j'ai fait du théâtre - je ne l'ai fait qu'une seule fois et j'étais vachement jeune -, je disais un texte de David Mamet [Oleanna, au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse en 1994], c'était un rôle, hyper brutal d'ailleurs...

Ce n'était pas vous, mais un personnage...

J'étais portée par une charge. J'avais eu le trac, mais j'avais assumé et j'avais vraiment adoré le travail en plus du metteur en scène [Maurice Bénichou]. C'est complètement différent. Là, la scène, chaque fois que je l'ai fait, j'étais complètement à poil, avec pas grand-chose à donner. Parce que je ne me considère pas comme chanteuse, que je ne suis pas une performeuse. Alors c'est difficile de sentir qu'on vaut le coup. Quand on est produit par SebastiAn, qu'on est en studio, que la voix est mise en avant, on se sent comme dans un écrin. C'est vraiment très peaufiné, alors que sur scène, c'est dur pour moi d'exister avec une batterie, etc. Je n'ai pas la voix qu'il faut ! D'avoir juste sa personnalité, ce n'est pas suffisant. Mais cette fois-ci, je vais l'envisager si possible davantage comme une pièce de théâtre. Comme quelque chose de visuel autant que musical.