Dimanche dernier au gala de l'ADISQ, Klô Pelgag a remporté le Félix de l'auteur ou compositeur de l'année pour son excellent album L'étoile thoracique. Chloé Pelletier-Gagnon (de son vrai nom) est la première femme depuis Francine Raymond, en 1993, à remporter ce prix prestigieux. Elle poursuit sa tournée québécoise et sera en spectacle au Club Soda le 15 décembre.

Tu as remporté quatre Félix pour ton deuxième album. Finalement, c'est payant, l'originalité?

Je pense que c'est plus l'authenticité qui est payante. Créer pour créer, et non pour répondre à des conventions ou à des contraintes commerciales, qui nous guettent toujours. Tout le monde pense que pour faire de la musique, il faut passer à la radio commerciale ou à la télévision. Moi, j'ai toujours tripé sur la musique qui ne se rendait pas là. C'est peut-être ce qui fait que dans ma création, c'est ce qui prime: faire ce qui est le plus près de moi. Faire la meilleure oeuvre possible, pas ce qui va plaire le plus.

Est-ce que dans ce sens-là, ça te convient de remporter le Félix de l'album «alternatif» de l'année?

La catégorie «album alternatif», c'est «tout ce qu'on ne sait pas trop ce que c'est»! Au GAMIQ [le Gala alternatif de la musique indépendante du Québec], j'ai gagné l'album pop de l'année. Ça dépend du regard qu'on porte sur toi, et dans quel milieu. À l'ADISQ, je comprends que mon projet ne soit pas dans la catégorie pop ou folk. Mais j'ai été chanceuse depuis le début de pouvoir vivre de ce que je fais, parce que j'ai eu la chance de tourner un peu partout [en France, notamment].

Ce n'est pas simple pour les musiciens. Il y en a qui se réorientent, qui trouvent ça dur, même après des années de carrière...

Quand tu es une femme, il y a encore plus de questions qui se posent. Je veux avoir des enfants. Est-ce que ça va compliquer les choses dans ce milieu-là?

Ce sont des questions que les hommes se posent moins. J'ai trouvé intéressant que tu précises, en allant chercher ton Félix de l'auteur ou compositeur, que ça faisait pratiquement un quart de siècle qu'une femme ne l'avait pas remporté. Tu as dit, dans la foulée, que tu croyais que d'autres femmes le gagneraient dans les prochaines années. Tu es convaincue que les choses vont changer?

C'est l'impression que j'ai en ce moment. Il y a beaucoup de choses qui bougent. On prend tous conscience, moi la première, de la situation des femmes dans plein de milieux et du regard qu'on porte sur elles. Oui, je suis optimiste. Et je ne veux pas que des femmes gagnent parce que ce sont des femmes. C'est la qualité qui va primer. Sauf que j'ai trouvé ça tellement étonnant de me rendre compte que ça faisait 24 ans qu'une femme n'avait pas gagné ce prix-là, alors qu'il y a eu de si bons albums.

Je suis curieux: tu avais quel âge quand Francine Raymond a gagné son Félix?

J'avais 3 ans ! On s'est posé beaucoup de questions récemment: est-ce que les femmes ont les mêmes chances que les hommes dans le milieu des arts et de la musique? Une amie me faisait remarquer, après ma performance à l'ADISQ, que lorsqu'on voit des violonistes à la télé, elles sont souvent confinées à des rôles de musiciennes sexy, en robe noire courte, alors qu'on ne demande pas la même chose d'un homme. C'est un stéréotype assez fort.

Une chroniqueuse a de nouveau reproché à Safia Nolin de porter une chemise au gala de l'ADISQ, plutôt qu'une robe noire, j'imagine. Ce qui m'a surtout frappé, c'est qu'elle n'a rien dit du t-shirt que portait Philippe Brach à ses côtés pour présenter un prix. Pour moi, c'est la définition même du sexisme.

Il s'exprime beaucoup de choses chez les femmes. Ce sont surtout les femmes qui écrivent sur Twitter que «t'es lette» ou que «t'es grosse». Ça vient aussi de l'éducation des femmes. De ce qui leur est dit depuis qu'elles sont toutes petites. Les messages qui s'intègrent subtilement dans notre esprit, qu'on porte en nous et que l'on développe en vieillissant. Souvent, je remarque que les gens deviennent plus sévères avec l'âge. Ils ont moins envie d'avoir du fun et ils sont fâchés par ceux, souvent plus jeunes, qui veulent avoir du fun et qui s'assument. Ça fait ressortir quelque chose en eux qu'ils n'aiment pas. Je trouve ça important que Safia reste elle-même. Ce n'est pas facile de rester soi-même quand on se fait constamment critiquer et dénigrer. C'est important que des gens comme Safia soient présents à la télévision...

Et que des artistes, par définition anticonformistes, ne se conforment pas à l'idée que des gens plus âgés se font de ce qui est convenable. Elle était belle, la chemise de Safia. C'est quoi, le problème?

On aurait voulu qu'elle arrive un an plus tard toute maquillée, habillée par un styliste? J'étais avec elle avant le gala. Elle était stressée et angoissée à l'idée d'y aller. Et moi aussi! Le regard des gens est dur. En même temps, c'est important qu'on soit là. Claude Gauvreau, en parlant de la peur de l'inconnu, disait qu'à partir du moment où tu vois quelque chose, tu le connais déjà un peu mieux et ça t'ouvre l'esprit. Même si tu n'es pas d'accord au départ, ça ouvre une brèche.

Tu as toi-même subi les foudres de ce conservatisme après ton discours de remerciement pour le Félix de la révélation de l'année en 2014. C'est ce qui t'inspirait des craintes ? Ces haters à qui tu as suggéré de se trouver une passion?

Oui. Je me préparais mentalement à devoir me faire une carapace. Dans la vie, je fais de la musique. J'en écris, j'en compose, j'en joue. Je ne rêve pas d'aller dans des galas. Ce n'est pas naturel pour moi et ça ne correspond pas à ma personnalité. L'art, pour moi, ce n'est pas une compétition. Je trouve ça drôle de me faire dire par des journalistes que je suis «contre» un autre artiste dans une catégorie. Contre?

Tu as dit sur scène: «Les filles, habillez-vous comme vous voulez!» C'était plus un message aux détracteurs de Safia ou à ceux qui risquaient de te reprocher de porter une robe avec des pieuvres aux épaules?

C'était pour moi, pour Safia, pour tout le monde. Parfois, les filles ont peur de déplaire et de se faire «basher». Comme tu le disais: Phil [Brach] a le droit de porter un t-shirt, et nous, on n'aurait pas le droit de porter ce qu'on veut? Ce n'est pas normal.

On parle d'habillement, mais penses-tu que c'est aussi ce «deux poids, deux mesures» qui a fait qu'aucune femme n'a gagné le Félix de l'auteur ou compositeur depuis 24 ans?

Je ne le sais pas. Franchement. Mais j'ai espoir que les choses vont changer parce qu'on en parle. Des gens plus âgés me disent souvent que je suis singulière ou originale, alors que Diane Dufresne a existé avant moi et qu'elle est plus de leur époque. Ont-ils oublié tout ce qu'elle a fait pour que moi, je sois considérée comme si originale? Je n'ai pas connu les années 70, mais j'ai l'impression qu'il y avait plus de liberté.

En contrepartie, c'était une société beaucoup plus machiste. Je remarque, notamment dans la réaction au mouvement de dénonciation actuel, que des gens plus âgés, dont beaucoup de femmes, ont intégré ces comportements machistes et minimisent ce que subissent les victimes. C'est aussi un legs de l'époque.

Ils avaient aussi leur lot de problèmes, mais je trouve que beaucoup d'esprits libres des années 70 sont devenus beaucoup plus rigides. L'art et la poésie sont devenus des mots qui font peur.

Tu m'en parles depuis le début: est-ce que cette étiquette d'«originale» te pèse? Sens-tu qu'elle t'enferme dans un carcan?

Ça ne me dérange pas, non. On a tous une étiquette. Je n'ai aucun contrôle sur la perception des gens ni sur le regard qu'ils posent sur moi et sur ce que je fais. Mais là où les étiquettes peuvent poser problème, c'est quand elles prennent le dessus sur la musique. On parle plus de ton linge que de tes chansons. On écoute ton discours, mais pas ton disque. Même si parfois, c'est grâce à ton discours qu'on finit par écouter ton disque. Après mon Félix de la révélation de l'année, mes salles se sont remplies. J'ai trouvé mon public et mon public m'a trouvée. Je trouve extraordinaire que cette rencontre ait eu lieu.