«Quand je jette un regard en arrière, je me dis que j'ai eu une vie incroyable. J'ai connu une révolution de l'intérieur. Quel grand honneur d'avoir été en vie sur cette planète», dit Johnny Clegg, en entrevue téléphonique.

L'artiste sud-africain, qui a éveillé les consciences avec son hybridation de sons occidentaux et de chants et danses traditionnels zoulous, monte ce soir sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier, l'une des escales de son dernier tour de piste, The Final Journey.

En rémission, deux ans après un diagnostic de cancer du pancréas suivi de deux chimiothérapies, Johnny Clegg sait trop bien que son temps est compté.

«Un sentiment doux-amer me gagne à la fin de chacun de ces shows. D'habitude, vous dites au public: "Au revoir, à l'année prochaine!" Mais j'ai tout de même la chance d'avoir l'énergie de le faire, même si je me sens exténué après chacune de ces prestations, qui sont très physiques.»

Le «Zoulou blanc» de 64 ans, qui se produit dans une douzaine de villes du Canada et des États-Unis pendant tout le mois d'octobre, donne dans l'autobiographie ces jours-ci, avec un concert qui revient sur quatre décennies de musique. Johnny Clegg replonge aussi dans les moments marquants de sa riche carrière, avec l'écriture de ses mémoires.

Passé, présent, avenir

Pour ses fans qui l'ont connu grâce à Asimbonanga (hymne dédié à Nelson Mandela), I Call Your Name, Scatterlings of Africa et ses autres succès planétaires, comme pour ceux de la nouvelle génération, Clegg interprétera à la Place des Arts sa musique interculturelle de l'époque de Johnny et Sipho, de Juluka, de Savuka...

Clegg jette aussi un regard vers l'avenir, avec la parution, ces jours-ci, de King of Time, un nouvel album qui compte une chanson sur l'environnement ainsi que des participations d'Angélique Kidjo (Colour of My Skin), de son fils musicien de 29 ans Jesse (I've Been Looking) et du DJ sud-africain Black Coffee.

«La musique sud-africaine vit de grandes transformations, avec l'influence du hip-hop, du rap, du dance», observe Johnny Clegg qui, à l'adolescence, a été initié à la musique et à la danse inhlangwini de la culture zouloue.

À cette même époque, Johnny Clegg outrepassait les règles strictes du Group Areas Act, qui forçait les Sud-Africains à rester dans leurs zones désignées, et allait à la rencontre des ouvriers migrants, pour faire de la musique dans les auberges de travailleurs et sur les toits des shebeens autour de Johannesburg.

«Cette période, vers 14-15 ans, où je m'attirais constamment des ennuis a été la plus belle de ma vie», constate Johnny Clegg.

Faire de la musique «guérilla»

En formant le groupe Johnny et Sipho (devenu plus tard Juluka) avec son acolyte de toujours, Sipho Mchunu, dans les années 70, Clegg a été le premier musicien sud-africain blanc à briser les règles de la ségrégation raciale en jouant avec des artistes noirs des compositions qui mélangeaient des paroles et mélodies anglo-saxonnes avec des structures musicales zouloues.

«À l'époque de l'apartheid, 20 % de nos concerts étaient interrompus chaque année. Mais on était contents: cela voulait dire que nous pouvions jouer 80 % du temps.»

«Comme la surveillance policière était moins serrée dans les townships éloignés des grands centres, nous jouions tous les week-ends dans des endroits ruraux, poursuit Clegg. Souvent, on faisait du théâtre guérilla : on installait la scène, on jouait, puis on repartait!»

Le musicien revient sur l'époque trouble de la fin des années 80, où Asimbonanga de son groupe Savuka (chanson dédiée à Mandela, qui veut dire «Celui que nous n'avons jamais vu» en zoulou) a été bannie en Afrique du Sud et où le groupe s'est aperçu que ses chansons étaient mieux reçues en France et aux États-Unis.

Il fait allusion au soutien que le groupe recevait de la part des étudiants et travailleurs migrants, à ses années d'engagement politique contre l'apartheid. Avec nostalgie, il évoque ce moment historique où Nelson Mandela est allé le rejoindre alors qu'il chantait Asimbonanga sur une scène de Francfort.

Adieux au Cap

L'Afrique du Sud, où il vit toujours, a radicalement changé, note celui qui, à la fin du mois de novembre, fera ses adieux au Cap dans les jardins de Kirstenbosch.

«C'est un pays qui a connu une immense transformation politique et culturelle, où des millions de gens partent avec leurs enfants des régions rurales pour s'installer dans des bidonvilles informels autour du Cap ou de Jo'Burg. Je vois des jeunes qui ne veulent plus être connectés à la musique traditionnelle, mais préfèrent faire partie de la scène mondiale, des artistes qui cherchent de nouveaux modes d'expression.»

L'avenir est incertain pour Johnny Clegg. Mais il regarde tout de même en avant. «Ceux qui ne peuvent pas voir le concert pourront se rabattre sur le nouvel album studio, un album live et aussi un DVD de la dernière tournée.»

Une ultime épopée pour ce Zoulou blanc qui a consacré sa vie à ouvrir la voie et à réunir les voix.

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À la salle Wilfrid-Pelletier, ce soir.