En ouverture de sa 18e présentation, l'OFF Jazz accueille Ben Wendel, compositeur et ténorman (aussi bassoniste et pianiste), membre crucial de l'excellent groupe électro-jazz Kneebody, qui a lancé huit albums studio depuis 2005, membre du trio ACT, et leader de trois opus solos, dont le récent What We Bring. Rien que ça.

Né à Vancouver, Ben Wendel a grandi à Santa Monica, en Californie. Il vit à New York depuis 2010, pas très loin de son père, natif de Montréal - ce dernier est retourné y vivre au terme d'une longue migration professionnelle. On devine que notre interviewé a la double nationalité.

Le saxophoniste, fils d'une chanteuse d'opéra et petit-fils d'une flûtiste ayant déjà travaillé auprès du fameux chef Arturo Toscanini, a également la musique classique dans son ADN. On comprend pourquoi il a déjà travaillé avec le maestro Kent Nagano pour la direction artistique de concerts donnés au Festspiel Plus de Munich.

«Selon Nagano, mon groupe Kneebody était hors catégorie, d'où sa suggestion de collaborer afin de présenter des concerts impliquant des mélanges stylistiques, notamment entre jazz et musique contemporaine», raconte Ben Wendel, joint cette semaine à New York. «Je l'avais trouvé très audacieux pour un chef d'orchestre associé aux musiques classiques et contemporaines. Nous avons entre autres travaillé sur la musique de Charles Ives avec le chanteur Theo Bleckman.»

Le jazz et son image

Respecté au sein de la communauté jazzistique aux États-Unis, notre interviewé est parmi les ténormen qui ont fini d'émerger et qui s'affirment parmi les forces vives du style, bien que...

«Le jazz souffre aujourd'hui d'un problème d'image. Je pense souvent à quel point l'identification aux catégories est puissante dans tous les genres de musique, dans la création et même dans l'activité humaine en général.»

Paradoxalement, ce déficit d'auditoire et d'image du jazz comporte, selon lui, l'avantage qui en permettra possiblement la relance.

«Nous traversons quand même une belle période pour cette musique que nous nommons jazz, née il y a plus de 120 ans. Jusque dans les années 90, l'identification au style était plus claire, ce qui n'est pas exactement le cas aujourd'hui. Je crois que cette appartenance est devenue plus floue, en fait. Les jeunes publics ne connaissent ni Billie Holiday ni Louis Armstrong, mais certains connaissent The Bad Plus, Snarky Puppy, Dirty Loops, Kamasi Washington. Ils n'ont pas d'idées préconçues sur ce qu'est le jazz ou ce qu'il devrait être. Cette ignorance peut être un avantage pour nous, musiciens de jazz.»

Ben Wendel n'a pas le projet de la grande réforme historique. Témoigner du présent lui suffit amplement. «Plus je suis dans cette forme, plus je pense que le jazz est une philosophie et un mode de vie plutôt qu'un style précis. Le jazz se connecte à ce qui se vit au présent.»

Ancré dans son époque

Pour le musicien, le défi de la création jazzistique n'est pas tant de transcender les formes connues que de s'approprier les musiques d'aujourd'hui.

«Avec Kneebody ou dans le contexte de ma musique, je ne crois pas tant que nous repoussons les limites de la forme que nous témoignons de l'époque actuelle. Nous avons grandi avec le hip-hop, l'électro et la musique classique. Alors j'écris ce qui fait partie de cette culture, de cette vie actuelle, de ce qui se produit aujourd'hui et non hier. Dans cette optique, j'écoute de tout.»

Ce soir au Lion d'Or, Ben Wendel se produira avec Rafael Zaldivar, piano, Rémi-Jean LeBlanc, contrebasse, Greg Ritchie, batterie. Ce qu'il vient présenter consiste en un mélange de projets récents: «Il y aura des pièces de mon album What We Bring [Gerald Clayton, piano, Henry Cole, batterie, Joe Sanders, contrebasse], qui est une évocation dans la continuité, c'est-à-dire comment les grands maîtres ont eu un impact sur ma propre musique, dont Song Song, une pièce dédiée à Ahmad Jamal que nous allons jouer à Montréal.

«D'autres pièces seront tirées de mon projet The Seasons [en ligne sur YouTube]. Les sonates pour piano de Tchaïkovski m'ont inspiré le concept; j'ai créé des pièces en duo réparties sur 12 mois et j'ai invité différents joueurs pour ce faire: Joshua Redman, Mark Turner, Julian Lage, Ambrose Akinmusire, etc. À Montréal, nous jouerons les pièces composées pour les pianistes Aaron Parks et Taylor Eigsti.»

Le tout conjugué au présent de l'indicatif, il va sans dire.

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Dans le cadre de l'OFF Jazz, Ben Wendel et ses amis de Montréal se produisent ce soir, à 21 h 30, au Lion d'Or. Le concert sera précédé à 20 h du quartette Sympathetic Frequencies, dirigé par le batteur Mark Nelson.

Cinq concerts à voir à l'Off

Joe Sullivan Big Band: au Lion d'Or, demain, 20 h

Pédagogue, trompettiste, compositeur, arrangeur, le Montréalais Joe Sullivan a dirigé plusieurs formations, notamment un big band dont le plus récent enregistrement s'intitule Unfamiliar Surroundings, écrit et composé dans l'esprit du jazz moderne, ceci incluant quelques traits de personnalité de ce compositeur ancré dans la tradition. Joe Sullivan peut compter sur des musiciens de haut niveau, notamment les saxophonistes André Leroux et Al McLean, le trompettiste Jocelyn Couture, le tromboniste Jean-Nicolas Trottier, la section rythmique composée du bassiste Alec Walkington et du batteur Dave Laing. Rigueur et respect de l'histoire en perspective!

François Bourassa Quartet: au Lion d'Or, le 11 octobre, 20 h 

Depuis plusieurs années, le pianiste et compositeur dirige un excellent quartette de jazz, fort possiblement le plus consistant sur ce territoire. Outre son leader, cet ensemble est constitué du saxophoniste et flûtiste André Leroux, du contrebassiste Guy Boisvert et du batteur Greg Ritchie. François Bourassa n'a cessé de faire évoluer son langage. En témoigne ce nouvel album, 9. La maturité et la singularité de ses interprètes, les propositions rythmiques bien au-delà du swing, les concepts harmoniques, l'équilibre entre abstraction conceptuelle et assomption de la longue lignée du jazz contemporain: ce qu'on cherche dans le jazz de pointe, on le trouve dans le quartette de François Bourassa.

Burton Greene «trio d'octobre»: à la Sala Rossa, le 12 octobre, 20 h

Originaire de Chicago, le pianiste Burton Greene ratisse large dans le monde de l'improvisation. Au cours des années 60, il trouvait sa place dans la «new thing» à New York, côtoyant ses protagonistes tels Henry Grimes, Marion Brown ou Alan Silva. Un demi-siècle plus tard, l'octogénaire fait équipe avec les bardes de générations subséquentes, notamment les Québécois Isaiah Ceccarelli (batterie) et Éric Normand (basse), à qui l'on doit plusieurs initiatives en musique improvisée d'avant-garde, notamment ce programme à l'OFF Jazz avec la célébrissime chanteuse britannique Maggie Nicols, les groupes locaux Manta et Les Jazz Mess.

Erik Hove Chamber Ensemble: à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, le 13 octobre, 20 h

Polygon, le plus récent enregistrement du saxophoniste et compositeur Erik Hove, est l'une des grandes réalisations de la musique contemporaine de sensibilité jazzistique. Les éléments d'improvisation y sont au service d'une écriture dense, complexe, plus qu'intéressante. L'instrumentation se trouve au croisement du combo jazz et de l'orchestre de chambre se consacrant à la musique contemporaine. Saxophones, clarinettes, flûtes, batterie, contrebasse... mais aussi alto, violon et violoncelles servent cette musique exigeante et audacieuse. Voilà un ensemble parmi les plus visionnaires de la grande musique montréalaise et... trop peu connu.

Il était une fois dans L'OFF: au Gesù, le 14 octobre, 20 h

La soirée de clôture de l'OFF consiste en une présentation collective de 10 piliers du jazz local invités à offrir un répertoire constitué de compositions originales. Sous la direction de la pianiste Marianne Trudel, ces musiques seront exécutées par les trompettistes Andy King, Hichem Khalfa et Lex French, par les saxophonistes Jean Derome, Jean-François Ouellet et Erik Hove, par le bassiste Simon Pagé et le batteur Mark Nelson.

Photo Evan Shay, fournie par l’OFF Jazz

Joe Sullivan