L'auteure-compositrice-interprète Maude Audet fera paraître le 29 septembre son nouvel album, Comme une odeur de déclin. C'est le premier album d'une artiste québécoise réalisé par une autre femme (Ariane Moffatt). Une première très symbolique dans un contexte où les musiciennes font front commun, depuis quelques mois, pour mieux être représentées dans l'industrie.

Ton album a été réalisé par Ariane Moffatt. C'est assez rare, des femmes réalisatrices au Québec, d'autant plus d'albums de musiciennes...

Je ne le savais pas, mais il semble qu'Ariane soit la première réalisatrice québécoise à réaliser un album pour une autre artiste. Beaucoup de femmes ont réalisé ou coréalisé leur propre album, mais c'est la première fois qu'un album au complet est réalisé par une femme.

En 2017, c'est étonnant que ce soit une première. Ça en dit long sur le «boys' club» de l'industrie musicale québécoise...

Il y a eu beaucoup de réflexions sur la place des femmes dans l'industrie dernièrement. En un sens, je suis contente que ce soit une première. Mais dans un autre sens, non...

Pourquoi?

J'avais, oui, le désir qu'il y ait plus de femmes dans mon projet. J'ai eu une prise de conscience personnelle il y a un an...

Liée à la lettre de Laurence Nerbonne sur le site d'Urbania («Moi pis mes bros only», où elle dénonçait ce «boys' club»)?

Tout à fait. J'ai constaté comme elle que je m'entourais beaucoup d'hommes dans mes projets. C'est à ce moment-là que j'ai demandé à Ariane de réaliser mon album. Mais ce n'était pas pour faire un coup d'éclat. Je ne savais pas que c'était une première. J'avais un désir de travailler avec Ariane encore plus grand que celui d'intégrer des femmes au projet.

C'est une question délicate. On veut évidemment plus de parité, on se rend compte à quel point elle n'est pas atteinte, mais il n'y a aucune femme qui veut avoir l'impression qu'elle a été choisie parce qu'elle est une femme. D'un autre côté, il faut faire bouger les choses...

Exactement. Il y a des dangers au désir de parité. On veut travailler avec des individus, pas se sentir obligée de travailler avec autant de femmes que d'hommes, etc. Mais je pense que de façon générale, il faut se poser des questions et se demander si on fait notre part. Chaque geste est important. Il y en a beaucoup qui se posent en ce moment. Mais il reste des consciences à éveiller, de vieux réflexes à défaire et de vieilles traditions à changer. Ce n'est pas tant de la mauvaise foi envers les femmes que de mauvaises habitudes bien ancrées.

Ce sont des comportements intégrés, autant chez les hommes que chez les femmes. Ce qui était intéressant dans le texte de Laurence Nerbonne, c'est qu'elle reconnaissait elle-même que spontanément, elle faisait davantage appel à des musiciens et réalisateurs masculins. Et qu'il fallait déprogrammer ses propres habitudes pour envisager d'autres façons de faire.

C'est tellement difficile pour les femmes, pas seulement dans le milieu de la musique - c'est mon impression, je ne suis pas analyste. Je pense qu'entre femmes, on pourrait s'encourager davantage. Pas nécessairement en nous embauchant les unes les autres, mais en nous admirant pour nos qualités. Si la situation de certaines femmes s'améliore dans le milieu de la musique, ça ne peut qu'être bénéfique pour les autres. C'est déjà tellement difficile de faire sa propre place qu'intégrer d'autres femmes n'est pas toujours un réflexe pour tout le monde.

Tu es passée de la parole aux actes. Même si tu n'as pas choisi Ariane seulement parce que c'est une femme, tu as quand même fait un geste concret... As-tu peur qu'on ne parle de ton album que pour ça, et pas pour la musique?

Ce n'est pas un album féministe. Je trouve que le féminisme est très important dans notre société, mais le thème de mon album, ce n'est pas ça. Il faut dénoncer les choses, mais ensuite, il faut aussi créer des précédents pour essayer de changer les mentalités.

Je me rends compte qu'il y a peu de femmes musiciennes qui veulent parler de ces questions. Le mouvement Femmes en musique (FEM) a lancé un pavé dans la mare, en juin, en dénonçant le sexisme dans l'industrie. Il y avait des dizaines de signataires, dont toi. Le mouvement semble depuis s'être effrité. Pourquoi, à ton avis ? Les musiciennes ont-elles peur d'être stigmatisées?

C'est un débat qui mérite beaucoup de nuances. C'est difficile de porter une étiquette quand ta priorité, c'est ton projet musical. Porter un chapeau et parler au nom des autres femmes, c'est quand même délicat. Tout le monde ne peut pas être d'accord sur tout. C'est pour ça qu'il est difficile de trouver des porte-parole. On a le désir que ça change, mais ça ne veut pas dire empêcher les femmes de collaborer avec des hommes!

Il y a plusieurs questions que l'on met dans le même panier. Qu'il y ait peu de techniciennes et réalisatrices, c'est une chose; qu'il y ait moins de femmes nommées au gala de l'ADISQ, c'en est une autre...

Nous ne sommes pas toutes interpellées par les mêmes choses.

Le Journal de Montréal faisait remarquer cette semaine qu'il y avait beaucoup moins de femmes nommées au gala de l'ADISQ qu'il y a cinq ans. C'est quelque chose qui correspond à la réalité de l'industrie, selon toi?

Sincèrement, je ne voudrais pas parler «à travers mon chapeau». Je ne pense pas que le gala de l'ADISQ soit représentatif du milieu. Si on est indépendant, on n'a pas les moyens de s'y inscrire. Il y a moins de femmes dans certains types de musique. Cela dit, je n'ai pas fait de calculs! Et je n'ai pas envie de toujours tout calculer. Mais si le FEM n'avait pas remarqué que les programmations de festivals cet été étaient très peu féminines, on n'en parlerait pas, alors que c'est une réalité. Il y avait des festivals qui avaient deux femmes sur vingt artistes. Alors qu'il y a une forte présence de femmes en chanson, mon créneau, en ce moment.

Tu étais à l'affiche du nouveau Festival Mile Ex End Musique, qui avait une présence féminine importante, avec Cat Power, Suzanne Vega, Charlotte Cardin, Basia Bulat, Lydia Képinski, etc. Je n'ai pas fait de calculs, moi non plus, mais certains font des efforts, non?

C'est un festival qui avait vraiment un désir de faire une plus grande place aux femmes. Je trouve ça encourageant. Ça n'a pas besoin d'être dix filles, dix gars. Quand on sent que c'est une préoccupation, qu'on est conscientisé au problème, c'est un pas dans la bonne direction. D'autant que c'est un festival qui ne fait pas d'âgisme. C'est un autre problème pour les femmes. C'est difficile de vieillir, dans ce milieu-là, et de rester en demande. La femme est plus stéréotypée que l'homme: au même âge, une femme nous semble plus vieille qu'un homme. Dans notre société, c'est plus dur pour une femme musicienne d'avoir l'air cool avec des cheveux gris. Je pense qu'on est mûrs pour un Louis-Jean Cormier ou un Richard Desjardins féminin. Collectivement, c'est un grand manque. Il est grand temps d'admirer une femme pour sa pensée, pour son oeuvre, comme on peut le faire avec des hommes. On est rendus là.