Sur papier, tout les éloigne. L'un répète des refrains fédérateurs et dansants prisés des radios; l'autre assène des lignes d'une rare violence et vérité auprès de fidèles initiés. L'un est originaire de Nouvelle-Écosse; l'autre a grandi dans les rues d'Ahuntsic. Les rappeurs Jacobus, moitié barbue du groupe Radio Radio, et Lary Kidd, MC du trio montréalais Loud Lary Ajust (LLA), ont au moins cela en commun qu'ils tentent ces jours-ci l'aventure solo. Rencontre à la croisée des chemins.

Le saut solo

Jacques Doucet, alias Jacobus, vient de lancer en version physique son premier album solo, Le retour de Jacobus, tandis que Laurent Fortier-Brassard (Lary Kidd) fera paraître Contrôle le 2 juin chez Coyote Records. Les deux rappeurs, respectivement extirpés du tandem festif Radio Radio et du trio montréalais Loud Lary Ajust, concrétisent ainsi des envies latentes. «J'ai commencé en 2003 avec un groupe qui s'appelait Jacobus et Maleco, raconte Jacques, assis dans un café de l'avenue du Mont-Royal. J'avais l'intention de faire un album solo après ça, mais on a créé Radio Radio. Chaque fois, un nouveau projet arrivait et ma carrière commençait à être vraiment lancée. C'était toujours un mauvais timing.» Du côté de LLA, ses membres ont décidé « d'un commun accord» de faire cavalier seul, du moins pour un temps. «Ça nous trottait dans la tête depuis longtemps», dit Lary.

Seul, mais pas tant

Bien que (temporairement?) divorcé de sa moitié Gabriel Malenfant, le rappeur des Maritimes s'est adjoint les services d'un ancien membre de Radio Radio, le beatmaker Arthur Comeau, pour réaliser 10 bombes électro-pop dans la foulée de l'album El feel zoo. «La grande différence, c'est qu'il n'y a pas des débats sans fin sur la direction artistique de chaque chanson. C'est toi qui portes le projet à 100 %, qui choisis tes collaborations.» Lary Kidd est aussi resté en terrain connu avec l'embauche des bricoleurs de son Toast Dawg, VNCE (Dead Obies), Ruffsound et Kable, des producteurs naturels de Loud Lary Ajust.

Les thèmes

C'est davantage sur les thèmes que le changement a opéré. «J'étais la part incisive de LLA; alors, quand je suis seul, c'est décuplé complètement, explique Lary Kidd. Mon album, c'est une tragédie, c'est fucking lourd. C'est sombre dans la mesure où il y a beaucoup de critiques sur la société, tous genres confondus. Ce sont les chansons les plus conscientes que je n'ai jamais faites. Je ne dis pas: "Je suis contre ça". J'agis comme la personne qui est affligée par ce qu'elle déplore.» Il suffit d'écouter l'ultraviolente Ultraviolence pour s'en convaincre. Devant lui, Jacques Doucet admet que son «style de rap» est bien différent, davantage soucieux de la sonorité des mots que de la teneur des textes. Quoique l'aventure Jacques Jacobus, qui doit se poursuivre sur deux autres albums, l'a lui aussi mené vers des thèmes plus personnels. Sur C'est lovely, par exemple, il raconte le changement de sexe d'un vieil ami. «C'est heureux, mais pour lui, ç'a été super dark, il a fait une dépression. Je cherche toujours à mettre un enrobage light et fluffy pour que le message soit positif.»

L'argent et la notoriété

Est-ce que l'aventure solo pourrait engendrer des avantages pécuniaires? Du moins pas dans l'immédiat, assurent les deux rappeurs fraîchement émancipés. «J'ai financé le projet de disque, dit Jacobus. Je n'ai pas appliqué pour les bourses ; alors je prends tout le risque. C'est un stress, mais un bon stress. C'est un challenge que je n'avais plus avec le groupe. Je suis fier parce que ça me motive à vouloir bâtir quelque chose.» Lary Kidd acquiesce et renchérit. «Je faisais des cachets, je ne dirais pas monstrueux pour du rap québécois, mais quand même... pis on a rempli des Métropolis [avec LLA]. Il y a deux semaines, je suis allé à Trois-Rivières, il y avait 35 personnes. [...] Tu dois reprendre le boulot presque du début.»

Image fournie par Coyote Records

Contrôle, de Lary Kidd

La mise en scène

En spectacle, Radio Radio et Loud Lary Ajust signent des chorégraphies enflammées, quasi athlétiques. Difficile pour un seul corps de meubler la scène avec la même efficacité. Les deux rappeurs ont trouvé de nouveaux filons pour pallier cette difficulté. Lary Kidd mise sur des projections et des nuages de fumée. «Je perds un peu la carte dans mon propre monde et les gens m'observent. Je ne crois pas que je serais capable de me donner autant qu'avec LLA en front avec les gens. Oui, je le fais à travers quelques chansons, mais mon show reste plus inclusif.» Jacobus, lui, invite un batteur et DJ qui « fait des backs et aide pour le show». Son spectacle est construit comme une trame sonore, où il revisite aussi des succès passés de Jacobus et Maleco et de Radio Radio. Après tout, «Ma vie c'est un movie», chante-t-il dans son premier extrait solo.

L'avenir du disque

Les deux musiciens ont été touchés par la faillite de DEP, qui devait distribuer leur album. Dans les deux cas, le lancement de la version physique a été retardé. «Un disque, c'est devenu un goodie, c'est du merch, dit Lary, résigné. Tu vends des t-shirts... et ton CD.» Jacobus va plus loin. «Le disque va s'évaporer dans l'air, à part comme objet de collection. Je n'ai pas de CD player, ni dans mon char ni sur mon ordinateur.» En outre, tous deux ne se formalisent pas de voir leurs albums piratés avant même leur sortie, surtout s'il s'agit d'une porte d'entrée vers les salles de spectacle. C'est avant tout sur scène, croient-ils, que leur nouvelle carrière trouve sa viabilité et sa pertinence. 

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RAP. Contrôle. Lary Kidd. Coyote Records. En vente le 2 juin.

ÉLECTRO-RAP. Le retour de Jacobus. Jacques Jacobus. Indépendant. Déjà en vente

Image fournie par Duprince

Le retour de Jacobus, de Jacques Jacobus