Chagall adorait la musique, qu'il a souvent représentée dans ses tableaux. L'inverse est aussi vrai, puisque le peintre inspire les compositeurs. C'est le cas de Nicolas Gilbert, qui s'est inspiré des tableaux de l'exposition du MBAM, Chagall - Couleur et musique, pour composer une nouvelle oeuvre, Chagall rêve, dont la création aura lieu ce soir au concert d'I Musici.

Le concert Le boeuf sur le toit, qui accueille le pianiste Charles Richard-Hamelin comme soliste invité, repose d'ailleurs entièrement sur des oeuvres représentatives de l'époque de Chagall. Pour composer la sienne, Nicolas Gilbert a consulté le catalogue de l'exposition, bien avant que celle-ci n'ouvre ses portes.

« C'est une pièce en neuf sections, avec un axe central qui comporte un texte lu par le comédien Igor Ovadis, dit Nicolas Gilbert. Nous avons enregistré sa voix. La présence du texte rend la forme de la pièce un peu étrange. Rétrospectivement, on comprendra qu'il y avait quelque chose de préparatoire dans la partie de l'oeuvre entendue avant le texte. Normalement, quand on entend une pièce musicale, c'est autosuffisant. » 

« À partir du moment où un comédien raconte une histoire, ça donne une dimension complètement différente. Le texte éclaire la musique. »

- Nicolas Gilbert

En fait, le comédien dont on entend la voix représente Chagall lui-même.

« J'ai écrit le texte à partir de l'autobiographie de Chagall, ajoute le compositeur. J'ai pris des souvenirs de son enfance pour en faire un court monologue théâtral. Au moment où Chagall nous raconte ces choses, il est en train de travailler sur les costumes de La flûte enchantée et se remémore son enfance. Il y a donc des citations de la Flûte dans mon oeuvre, mais légèrement retravaillées, décalées, un peu à la manière dont Chagall a travaillé certains de ses personnages, comme son célèbre violoniste vert. Ce sont souvent des personnages étranges, avec des caractéristiques anormales. C'est très onirique et ça nous donne l'impression qu'on entre dans sa tête. »

AUTEUR-COMPOSITEUR

Il n'est pas étonnant de voir un compositeur comme Nicolas Gilbert, qui est aussi écrivain et qui a publié quatre romans aux éditions Leméac, avoir recours à du texte dans sa musique.

« Pour moi, les deux sont liés. Au début, je gardais la musique et l'écriture séparées, mais dans la pratique et la conception des romans et des pièces musicales, il y a des parallèles. Avec le temps, les deux se sont rejoints. J'écris des romans comme je compose de la musique, et je compose comme j'écris. »

Son premier roman, Le récital, était d'ailleurs une transposition presque littérale d'une pièce musicale qu'il avait faite auparavant.

« Les techniques compositionnelles que j'ai développées au départ, pour la plupart, viennent du courant littéraire que l'on appelle "nouveau roman". Les romans de Robbe-Grillet m'ont beaucoup influencé. Ce sont des romans qui brisent la continuité de la trame temporelle, dont les événements ne sont pas racontés dans l'ordre chronologique. La lecture devient un processus où l'on remet les choses en ordre. Cette idée m'a beaucoup intéressé musicalement. »

Ces rapprochements entre peinture, littérature et musique ont assurément l'air de plaire au chef d'I Musici, Jean-Marie Zeitouni, lui-même grand lecteur.

« L'idée d'avoir un texte avec la musique lui parle beaucoup. C'est la deuxième pièce avec texte que je compose pour I Musici. J'en avais fait une autre il y a deux ans, Au tout dernier instant, avec un comédien sur scène. Ça s'était bien passé et tout de suite après le concert, Jean-Marie m'avait dit qu'il aimerait qu'on en fasse une autre. »

Les autres pièces au programme sont l'Ouverture sur des thèmes juifs, de Prokofiev, le Concerto grosso no 1 d'Ernest Bloch, la Danse russe de Pétrouchka, de Stravinski, et Le boeuf sur le toit, de Darius Milhaud.

À la salle Bourgie, vendredi 20 h.

L'exposition Chagall - Couleur et musique se poursuit au MBAM jusqu'au 11 juin.