Les musiciens nomades du groupe Tinariwen, locomotive du blues touareg, feront un (rare) détour à Montréal dans la foulée de la parution de leur huitième album, Elwan. Le collectif, qui a troqué les armes de la rébellion contre les guitares de la résistance, chante en tamasheq l'exil et les maux de son peuple, prisonnier des conflits sanguinaires dans le désert malien. Entre deux concerts survoltés au bout du monde, La Presse a échangé par courriel avec Eyadou ag Leche, bassiste du groupe depuis 15 ans.

Les musiciens Kurt Vile, Matt Sweeney et Mark Leanegan prêtent leurs voix et leurs guitares sur Elwan. En quoi est-ce important pour vous de tisser des liens étroits avec le rock américain?

C'est sans doute pour que notre auditoire mondial puisse accéder à la tradition touarègue par le biais de la modernité. Nous avons appris à jouer de la guitare en plein Sahara, avec aucun autre outil que notre bagage traditionnel. La curiosité et les occasions nous ont amenés à rencontrer des stars [américaines] du rock et de la pop, et les collaborations se sont toujours faites simplement, aisément, spontanément. Bref, de la façon dont nous aimons vivre. Évidemment, nous désirons que notre musique soit pop, comme dans populaire. Pas pour être des vedettes, mais parce que nous avons l'ambition de construire un monde meilleur en partageant les fruits de nos expériences.

Après plus de 30 ans de carrière et d'exil, vous n'avez jamais choisi le confort et la facilité. Votre musique reste profondément ancrée dans l'urgence, alors que votre peuple souffre de nombreux conflits territoriaux et du djihad salafiste. Comment réussissez-vous à transformer cette énergie destructrice en force créative?

Nous sommes dans la continuité de notre histoire. Notre principe reste d'aider notre peuple à ouvrir son esprit et à réfléchir à sa situation géopolitique, pour qu'il découvre que la paix est la seule solution. Aujourd'hui, comme à nos débuts, nous trouvons un peu de réconfort lorsque nous jouons de la musique et rendons compte, avec une certaine poésie, de notre condition. C'est une façon de garder notre culture ancestrale vivante.

Le titre de votre album signifie «éléphant» en langue tamasheq, un animal qui symbolise la dignité, la force et l'intelligence. Pensez-vous que ces qualificatifs siéent à votre groupe?

[...] La véritable signification d'Elwan est plutôt «Les éléphants», une métaphore qui symbolise les grandes multinationales, les administrations, les radicaux et les hommes d'affaires qui partagent la responsabilité de nos problèmes au Sahara. C'est comme si une horde d'éléphants avait piétiné notre terre, nos jardins.

L'éléphant est aussi le symbole du parti de Donald Trump. Est-ce que la conjoncture américaine vous interpelle?

Assurément, nous craignons davantage d'avoir des difficultés avec l'immigration, parce que nous venons d'une terre associée à de nombreux conflits internationaux.

Bien qu'originaires d'Azawad [le nord du Mali], les membres de Tinariwen ont élargi leur territoire créatif au monde entier. Est-ce que la musique, en quelque sorte, vous a permis de rester nomades en dépit des circonstances?

À l'origine, nous sommes des nomades pastoraux [qui mènent le bétail de pâturage en pâturage]. Depuis 20 ans et encore aujourd'hui, le nomadisme nous est imposé pour une tout autre raison: la musique. Et les solutions qui s'imposent sur notre territoire sont les mêmes qui pourraient garantir la paix dans le monde entier.

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À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts le 13 avril à 20 h; première partie de Dengue Fever.

BLUES/ROCK. Elwan. Tinariwen. Epitaph/Anti.

image fournie par Wedge/ [PIAS]

Elwan, de Tinariwen