On oublie souvent que Vincent Vallières n'avait que 19 ans lorsqu'il a lancé son premier disque, Trente arpents, en 1999. À quelques jours de la sortie de son septième album intitulé Le temps des vivants, dans lequel il prend le risque de changer un peu, celui qui est devenu une des valeurs sûres de la chanson québécoise reste rempli de doutes, inquiet mais fébrile à l'idée de présenter ses nouvelles chansons.

«C'est un peu le disque du deuxième souffle, explique-t-il. Tu sais, quand tu cours et que tu arrives à mi-course: il y a une autre affaire qui s'installe dans ton corps.» Après 18 ans de carrière et une longue liste de succès, Vincent Vallières pourrait très bien s'estimer arrivé au sommet. «Je sens que je m'améliore», dit-il plutôt, espérant que ses meilleures chansons sont devant lui.

«La chanson, ça commence à 40 ans. Je crois en moi et je sais que je peux en faire des bonnes. Mais je suis de plus en plus conscient de mes lacunes et que je peux parfaire encore bien des affaires», dit l'auteur-compositeur-interprète, qui a écouté en boucle les disques de Leonard Cohen au moment de sa mort. «Ses trois derniers disques étaient de grands disques. C'est la plus belle fin qui soit pour un artiste, mourir à 82 ans en étant plus pertinent que jamais.»

Se déstabiliser

Nous avons rencontré le chanteur de 38 ans dans un studio du boulevard Saint-Laurent, là où il a enregistré la chanson Loin dans le bleu, écrite lors d'une semaine de formation avec Gilles Vigneault, l'automne dernier. Vincent Vallières est tel qu'on l'imagine, affable et généreux, mais aussi étonnamment volubile, quelle que soit la question qui lui est posée. Mais si tous les sujets l'allument, il est vraiment intarissable à propos de «monsieur Vigneault». 

«[Gilles Vigneault] nous a encouragés à nous mettre en danger en nous disant que dans le fond, personne ne nous attend vraiment. C'est dur, mais ça désamorce beaucoup de choses.»

L'expérience a été manifestement marquante, et représente maintenant «un outil de plus» dans son atelier. «Je suis fier de Loin dans le bleu, à cause de sa forme très rigoureuse, sans élisions. J'ai compris que je peux faire des chansons en langage familier, mais aussi ça. Ça élargit le spectre des possibilités pour la suite.»

En discutant avec Vincent Vallières, on constate que tout le travail autour du Temps des vivants aura été motivé par ce désir de se déstabiliser. «C'est important, sinon ça perd tout son sens», dit-il. Quand il parle de «deuxième souffle», c'est justement de la légère transition qui y est amorcée, entre autres avec l'intégration de sons synthétiques qui marquent pour lui un réel tournant.

Nouvelle équipe

«Ça, c'est venu avec la nouvelle équipe», dit ce gars fidèle, qui travaillait avec certains musiciens depuis le début de sa carrière... et même plus. «Simon Blouin, je le connais depuis la fin de mon secondaire. Michel-Olivier Gasse, depuis mon secondaire 1. Ce sont de gros morceaux dans ma vie. Mais à la fin de la précédente tournée, les gars m'ont dit: "Vallières, essaie autre chose." Ils ont eu cette générosité.»

Il est alors retourné chez lui «déposer ses valises» et a recommencé à écrire des chansons. Il les a ensuite montrées à Philippe B, «un autre mentor», qui lui a rappelé que son désir de changement ne signifiait pas qu'il devait se transformer complètement. «C'est quoi, me redéfinir? Me mettre à faire du disco ? B m'a dit que l'idée de tout changer n'était pas nécessairement la clé pour moi. Ce n'est pas tant là qu'il m'attendait, plus dans des détails d'écriture, de structure, de son. J'ai aimé ça.»

Il s'est ensuite entouré du bassiste multi-instrumentiste François Plante, qui a réalisé l'album, du guitariste, ancien Dears et «électron libre» George Donoso III, et du guitariste Andre Papanicolaou, avec qui il travaillait déjà. Avec eux, Vincent Vallières a cherché le côté plus «raw» (rugueux) de l'expérience sonore, «avec la quête de vérité qu'il y a derrière ça».

Tradition chansonnière

Au-delà des structures plus ambitieuses, du spoken word adopté dans certaines chansons et de la présence envoûtante des bass synth, farfisa et autres vibraphones, Vincent Vallières reste un auteur-compositeur dans la plus pure tradition chansonnière. «C'est ce que je fais dans la vie. J'aime livrer la meilleure matière première possible. À ce compte, ce disque est en continuité. Je ne pense pas être en rupture de ton, ce n'était pas le désir.»

Ce qui a changé par contre, ce sont les personnages qu'il met en scène, et qui, d'une certaine manière, ont vieilli avec lui.

«[Les personnages de mes nouvelles chansons] cherchent moins les solutions à leurs problèmes dans la fuite. En même temps, il leur reste aussi une naïveté, une candeur.»

Vincent Vallières continue à vouloir donner une voix aux gens «ordinaires», signant des chansons réalistes et sociales dans la lignée de Bruce Springsteen ou Richard Séguin. «Ça fait partie de mon héritage ouvrier, mais aussi de la québécitude dans les chansons. Mais il n'y a pas que ça dans Le temps des vivants. Je voulais parler aussi de ceux qui ont des idées et qui rêvent au-delà de toute forme de frontière.»

Le titre du disque, qui est celui d'un poème de Gilbert Langevin, est d'ailleurs un rappel de cette capacité qu'ont les humains de «continuer à rire, se relever ou s'émerveiller, de voyager, de cheminer et d'avoir des enfants», dit-il. «Cette résilience me touche et m'émeut. Je suis entouré de gens comme ça, qui ne sont pas en train de s'apitoyer.»

Rencontre

Après un arrêt de plus d'un an et demi, Vincent Vallières reprend la route avec ses chansons. «C'était la première fois depuis mes débuts que je m'arrêtais si longtemps», dit celui qui se dit «flatté» d'être parodié par l'émission humoristique À la semaine prochaine, diffusée sur les ondes d'ICI Radio-Canada Première.

«C'est Dominic Paquet qui m'imite, hein?, dit-il en rigolant. C'est comme quand ils m'ont fait dans un Bye Bye: c'est vraiment le genre de chose à laquelle je ne m'attendais pas quand j'ai commencé à chanter avec mes chums!» Il vit bien avec cette image publique un peu «lisse» - dans À la semaine prochaine, le «personnage» Vincent Vallières, qui s'indigne de tout, n'est jamais réellement fâché... «Ça me fait rire. En même temps, les gens qui me connaissent me disent: "Dude, c'est tellement pas toi!"»

Vincent Vallières sait qu'il est chanceux de faire encore partie du paysage, et il espère que la «rencontre» se produira de nouveau entre lui, ses chansons et les spectateurs. Mais reste que plus il vieillit dans le métier, moins il a de certitudes.

«J'ai envie de profiter de chaque show, car je ne sais pas quand ça va tourner. On ne contrôle pas tout, mais c'est beau et stimulant. Tous les matins quand je me lève, je suis emballé par la journée qui m'attend.»

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Le temps des vivants. Vincent Vallières. Spectra Musique. En vente vendredi.

IMAGE FOURNIE PAR SPECTRA MUSIQUE

Le temps des vivants, de Vincent Vallières

Cinq chansons commentées

Nous avons demandé à Vincent Vallières de nous parler de cinq chansons emblématiques du Temps des vivants.

Pays du Nord

«Je suis très content de ce texte. J'ai passé beaucoup de temps à marcher en écrivant ce disque. Ça m'a habité longtemps et c'est comme ça qu'est arrivée la phrase "Je marche dans ma ville dans mon pays du Nord". J'aime chanter l'hiver. J'aime aussi le son très sinueux, les bass synth, les vibraphones, ça donne le ton au reste. La première chanson, c'est ta carte de visite, c'est celle qui dit: "Voilà, je reviens."»

Au matin du lendemain

«J'ai beaucoup aimé cette collaboration avec Philippe B. Je tenais déjà une belle chanson, mais quand B s'en est mêlé, je savais que j'en tenais une très belle. Elle évoque le rêve de l'amour tellement précieux des débuts, ce court moment où on s'approche très près du bonheur. Elle est dans la simplicité, mais ce souci de clarté a toujours habité ce que je fais. C'est une des premières choses que nous avait dit M. Vigneault: soyez clairs. Je me rappelle en retournant chez moi, je regardais mes textes et je me disais: "Je me comprends-tu ? Et puis y'a-tu juste moi qui me comprends, ou les autres aussi?"»

À hauteur d'homme

«Ce n'est pas pour rien qu'elle est au milieu du disque, c'en est un peu le coeur. C'est une chanson qui est en continuité avec mes disques précédents, les chansons Fermont, Asbestos, les racines ouvrières de ma famille. C'est très inspiré du recueil de poésie J'habite une ville de Pierre Perrault, où il avait rencontré des Montréalais pour les faire parler de leur réalité. Je suis très fier de cette chanson qui est très chansonnière dans son désir. L'idée n'était pas de réinventer la roue, mais de parler aux gens. C'est très terre à terre.»

Et même si...

«C'est un jam de paroles et de musique de fin de soirée... Ça m'a pris plusieurs semaines à l'assumer, je voyais plein d'erreurs, mais j'aimais la spontanéité du geste, qui représente la spontanéité du projet. En même temps, je m'écoute chanter et je dois assumer: c'est comme ça que je chante, ostie, dans la vie. J'ai eu de longues conversations avec Martin Léon, un autre de mes mentors, qui me disait justement qu'il aimait comment je chantais. Je lui ai répondu: "Me niaises-tu?" Il m'a dit: "Tu chantes comme tu chantes, alors pense pas à ça et chante." Sinon, ça devient juste complexant. Je dois dire aussi que j'ai travaillé avec la chanteuse Karine Pion, mais je n'ai pas réussi à parfaire mes compétences de chanteur comme j'aurais aimé!»

Je n'ai pas cessé

«Avec Et même si..., Je n'ai pas cessé est vraiment emblématique de la face B (Le temps des vivants sort aussi en vinyle), en tout cas de la deuxième partie! On est dans le lâcher-prise, dans l'idée du rock and roll aussi. En même temps, elle est très écrite, très travaillée, il y a peu de mots. Je l'aimais pour cette rigueur. Finalement, je suis très content que ces deux chansons soient là. Je suis content d'être là.»