Avec J'ouvert, son nouveau mini-album qui, dans sa version enrichie, fait tout de même 48 minutes, Wyclef Jean replonge dans l'océan qu'il définit comme «l'espace commercial».

Le rappeur, chanteur, compositeur, musicien et producteur qu'on a connu avec les Fugees dans les années 90 n'avait pas lancé de disque bien à lui depuis 2009. On a expliqué cette «absence» de sept ans par son escapade en politique, quand il a tenté, sans succès, de se présenter à l'élection présidentielle en Haïti en 2010. Mais, depuis, Wyclef Jean a quand même produit un mixtape d'une trentaine de chansons, en plus de collaborer avec plusieurs autres artistes, dont Shakira et le duo électro américain The Knocks.

«L'espace créatif ne s'arrête jamais, je fais constamment de la musique, mais cette fois, j'ai décidé de replonger dans l'océan, nous a dit Wyclef Jean lors de son passage à Montréal récemment. Je vois la marée, je vois les vagues et j'ai une planche de surf [...] La musique n'arrête pas, c'est pourquoi même si Tupac est mort, il y a plein de disques de lui qui paraissent.» 

«Dieu veuille que rien de fâcheux ne m'arrive, mais le cas échéant, on pourrait voir apparaître 20 différents albums de Wyclef: acoustique, en français, en créole... Tout ce matériel existe déjà.»

L'influent artiste d'origine haïtienne qui a grandi à New York comprend le français mais ne le parle pas couramment. L'album français auquel il fait allusion se compose de ce qu'il qualifie de «chansonnettes françaises» que sa mère écoutait et dont le jeune Wyclef imitait les interprètes pour la faire rire.

Il y a justement sur la version enrichie de J'ouvert une adaptation de Ne me quitte pas enregistrée en public, dans laquelle Wyclef reprend l'immortelle de Brel sur un rythme hip-hop. Il nous annonce même, en nous la chantant sur un ton très théâtral, qu'il y a parmi les autres chansonnettes enregistrées Les portes du pénitencier, la version française du standard House of the Rising Sun popularisée en France par Johnny Hallyday. Un truc symphonique sur un rythme lourd qui, nous assure Wyclef, est un morceau de bravoure pour le chanteur en lui.

«Je voulais inclure une chanson française sur mon nouveau disque, mais mon label suggérait plutôt de mettre un rap en français dans la chanson I Swear. Je trouvais l'idée brillante, mais il y avait un problème: le rappeur français qui écoute Wyclef s'attend à ce qu'il fasse quelque chose de différent. Or, quand ce rappeur français entend Ne me quitte pas, il trouve ça brillant. C'est du Wyclef, la rencontre de Flatbush, Brooklyn, avec Jacques Brel.»

Le «brasseur»

Son mini-album en est une autre preuve, Wyclef Jean est un modèle d'éclectisme. «Je suis un brasseur», lance-t-il dans un grand sourire. Le DJ et producteur suédois Avicii parle plutôt de «clefication», un mot qui pour Wyclef signifie «un truc auquel les autres ne pensent pas» et qu'il veut s'approprier dans le titre de son prochain album.

Parce que, voyez-vous, Wyclef considère les 14 pièces de J'ouvert comme un amuse-gueule en attendant son Carnival 3, qui paraîtra à l'automne, 20 ans après son remarquable premier album solo The Carnival. L'artiste hyper productif nous annonce qu'il n'y aura sur ce troisième volet qu'une seule des quelque 25 chansons qu'il a enregistrées avec Avicii à Stockholm.

«Avicii et moi, on a fait tellement de choses ensemble que c'est une oeuvre en soi. C'est un croisement entre Haïti et la Suède qui pourrait s'intituler Une nuit d'hiver à Stockholm. L'album Carnival 3 va sonner comme ce qu'on entend sur J'ouvert, mais en plus gros. J'ai travaillé avec Emeli Sandé et je garde cette chanson [Carry On] pour l'album. J'aurai d'autres invités comme Daryl Hall, dont j'ai repris Rich Girl avec Pusha T.»

J'ouvert est d'abord et avant tout pour Wyclef Jean une façon d'annoncer qu'il est de retour dans l'arène, comme il le chante dans The Ring, la première pièce du mini-album.

«Les gens connaissent déjà mon dossier, mais quand tu montes dans l'arène à 40 ans contre un jeune adversaire, tu ne bouges pas comme quand tu avais 20 ans. Es-tu encore capable de le mettre K.-O.?», lance-t-il dans un éclat de rire.

De jeunes fans

Si Wyclef Jean ressent le besoin de faire ses preuves auprès d'un nouveau public, il sait fort bien que nombre d'artistes plus jeunes se réclament de lui aujourd'hui. Dont Avicii, Young Thug, qui a pondu une chanson intitulée Wyclef Jean, et le Canadien Drake.

«Drake est un grand fan de moi. Sur le web, on peut le voir à 14 ans rapper sur Ready Or Not [des Fugees]. Quincy Jones a toujours dit que quand tu perds le pouls de la jeunesse, tu perds tout. Il faut se réinventer constamment.»

Ce que fait Wyclef Jean sur J'ouvert en reprenant en version acoustique la chanson Kiss the Sky qu'il avait donnée au duo électro américain The Knocks et en saluant le mouvement Black Lives Matter dans sa chanson Life Matters, ce qui ne l'empêche aucunement de chantonner la chanson populaire mexicaine Cielito Lindo dans Party Started ou de citer la chanteuse Sade dans Rear View.

Wyclef Jean a quitté Montréal en promettant de revenir s'y produire en spectacle plus tard cette année. Ceux qui ont assisté à sa grande fête sur la place des Festivals à l'été 2015 ne voudront pas rater ça.

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POP RAP. J'ouvert. Wyclef Jean. eOne. En magasin.

Image fournie par eOne

J'ouvert, de Wyclef Jean