Pour commémorer le cinquantenaire du métro de Montréal, la direction artistique de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) a commandé des oeuvres à deux compositeurs d'ici. Accelerando a été imaginée pour l'orchestre par José Evangelista, alors que Tunnel azur, imaginée par Robert Normandeau, est une pièce acousmatique, c'est-à-dire qu'elle exclut le jeu instrumental.

C'est d'ailleurs la première fois que l'OSM, qui a déjà commandé des oeuvres mixtes, inclut une diffusion acousmatique dans un de ses programmes. L'oeuvre s'inscrit également dans le cadre d'Akousma, festival à la fine pointe de la création musicale électronique.

«J'avoue avoir été extrêmement surpris par cette commande de l'OSM. Au début, je ne le croyais carrément pas! Avec José Evangelista, j'ai rencontré Kent Nagano au début de l'année afin de discuter de ce projet. Et je dois souligner que j'ai bénéficié d'un soutien remarquable», confie Robert Normandeau, incontournable de la sphère électroacoustique québécoise depuis les années 80.

Tunnel azur a déjà été créée en stéréophonie dans le cadre d'un concert extérieur de la Virée classique, le 11 août dernier, rappelle Robert Normandeau. À la Maison symphonique, cependant, la diffusion de Tunnel azur sera différente.

«La salle est équipée de haut-parleurs pour les présentations de type immersif, mais cet équipement n'avait jamais été utilisé depuis l'ouverture de la Maison symphonique, explique le compositeur. Plus précisément, 12 petites enceintes accrochées sur 3 étages compléteront le système 5.1 déjà en place. Cela permettra à l'auditoire de découvrir plusieurs aspects de l'oeuvre que la diffusion stéréophonique ne permet pas. On a littéralement sorti des boîtes l'équipement complémentaire afin d'effectuer des tests de diffusion multiphonique!»

Trois couches de sons

La construction de Tunnel azur, nous apprend son architecte, repose sur trois couches.

Primo, les sons du métro: 

«Le jour, j'ai capté des sons en circulant dans les nouvelles rames Azur. La nuit, j'ai pu découvrir un environnement sonore fascinant, car le métro bourdonne d'activités d'entretien. Des draisines qui roulent sur les rails d'acier, le son de ces véhicules est fort différent du métro. De plus, j'ai eu l'occasion de faire ces prises de son inusitées dans les ateliers du boulevard Crémazie, là où se fait l'entretien des véhicules.»

Secundo, les sons de l'octobasse: 

«Il s'agit d'une contrebasse trois fois plus grande que celles que l'on connaît; il faut la jouer sur une échelle avec des clefs. Cet instrument a été inventé au XIXsiècle et Berlioz a été le premier compositeur à l'utiliser. En juin dernier, je suis allé avec un contrebassiste de l'OSM à Drummondville, là où l'instrument est entreposé, afin d'y effectuer des prises de son. Pourquoi cet intérêt ? Dans une autre vie, j'étais contrebassiste!»

Tertio, la Symphonie no 9 de Mahler: 

«La troisième source est un hommage à Kent Nagano, dont j'ai beaucoup apprécié la direction pour la Symphonie n9 de Mahler. Ce soir-là, j'avais été fasciné par la façon dont Mahler avait exploité les différentes sections de l'orchestre. Ç'a été une révélation de constater ce travail de spatialisation. Étant lui-même un chef de haut calibre, il est clair que Mahler savait utiliser les masses sonores émanant d'un orchestre. Ainsi, j'ai réduit le premier mouvement de cette symphonie à une durée de 10 minutes. J'en ai conservé les couleurs orchestrales.»

Couleurs orchestrales? Orange? Vert? Jaune? Bleu? Bien au-delà de celles désignant les lignes de notre métro, il va sans dire!

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À la Maison symphonique les 20, 22 et 23 octobre.

Qui est Robert Normandeau?

Compositeur de près d'une quarantaine d'oeuvres, lauréat de nombreux concours internationaux, Robert Normandeau, 61 ans, est professeur à la faculté de musique de l'Université de Montréal. Très actif au sein de sa communauté, Normandeau a été le directeur artistique de l'Association pour la création et la recherche électroacoustiques du Québec, puis de la société de concerts Réseaux, à qui l'on doit le festival Akousma.

Six choix pour Akousma

Le plus exploratoire des festivals électro montréalais se tient cette semaine. Après consultation de la direction artistique, voici six concerts qui sortent du lot.

Michel Chion, troisième symphonie, L'Audio-divisuelle

À l'Usine C le 19 octobre, 18 h

Le compositeur français qualifie sa troisième symphonie d'oeuvre «audio-divisuelle». Il s'applique à y faire s'entrechoquer sons et images de différentes manières. Cette oeuvre a pour objet de «célébrer la vie sans aucune référence religieuse» et d'évoquer la mort «plus solaire que pluvieuse». De plus, Michel Chion dit avoir eu recours aux principes musicaux de la composition pour monter les images et les faire interagir avec les sons.

Pita, Get In

À l'Usine C le 19 octobre, 20 h

Pita est le pseudonyme du fondateur des Éditions Mego, Peter Rehberg. Londonien transplanté à Vienne, ce vétéran de la scène électro s'inspire du bruitisme, de l'ambient, de l'industriel, du drone, de la techno, mais aussi des premières vagues électroacoustiques. Pita a enregistré une douzaine d'albums au cours des deux dernières décennies. C'est un habitué des plus grands festivals électro: Sónar, All Tomorrow's Parties, CTM Berlin, Donaufestival. Il a reçu le prix Ars Electronica en 1999. Get In, qui sera présentée à Montréal, suit les oeuvres Get Out (1999) et Get Out (2004). De la suite dans les idées... au coeur du son.

Adam Stanović, Escapade et Mettallurgic

À l'Usine C le 20 octobre, 20 h

Directeur du programme de maîtrise en art sonore de l'Université de Sheffield, Adam Stanović se spécialise dans la composition d'oeuvres électroacoustiques de type acousmatique. On a pu entendre ses oeuvres dans quelque 500 festivals et concerts à travers le monde. Escapade se veut un assemblage inédit de micro-fragments de musiques orchestrales. Quant à Metallurgic, elle met en scène l'exploration sonore d'un morceau de métal via la résonance, la percussion et autres manipulations physiques de l'objet, et aussi via le traitement électronique de ces manipulations.

Antwood, pièces de l'album Virtuous.scr

À l'Usine C le 21 octobre, 20 h

Antwood est le pseudonyme de Tristan Douglas, artiste canadien endossé par les labels Cocobass et B.YRSLF Division (sous le pseudo et jeu de mots Margaret Antwood). Il jouera à Akousma les versions alternatives de pièces tirées de son plus récent album, Virtuous.scr. L'idée de cet album se fonde sur la question suivante: l'intelligence artificielle peut-elle respecter un code d'éthique qui lui est propre si elle connaît un éveil «émotionnel»? Autour de cette thématique, la musique expérimentale investit les codes de la musique populaire se déployant dans un environnement électronique.

Richard Chartier, Recurrence/Retracing

À l'Usine C le 22 octobre, 20 h

Actif depuis la fin des années 90, le Californien Richard Chartier s'est taillé une réputation dans les sous-tendances néo-moderne et micro-son de l'art sonore. Sa musique et ses installations ont été présentées en Europe, en Asie, en Océanie comme en Amérique du Nord. En 2000, il a fondé le label LINE et assumé la direction artistique de nombreuses installations sonores. Son approche se veut autoréflexive: sa musique minimaliste explore l'espace sonore tout entier à travers les différentes caractéristiques de la relation entre émetteur et récepteur d'une oeuvre: l'écoute, la perception, l'attention, le silence, etc.

Francis Dhomont, Le cycle des profondeurs I, II et III

Au Conservatoire de musique de Montréal les 20, 21 et 22 octobre, 17 h 45

Parmi les pionniers vivants de l'électroacoustique, Francis Dhomont a amorcé un très long cycle de création à la fin des années 40. Il a passé une large part de sa vie professionnelle entre la France et le Québec. Nombre d'oeuvres importantes du répertoire lui sont attribuées, dont les trois volets de ce Cycle des profondeurs, présentés en autant de jours. Sous le regard d'un soleil noir (1979-1981) relate un naufrage intérieur, inspiré des écrits du psychiatre et psychanalyste Ronald D. Laing. Forêt profonde (1994-1996) est un mélodrame acousmatique d'après un essai de Bruno Bettelheim. Le cri du Choucas (2014-2015) évoque l'approche psychanalytique de Marthe Robert.