Paul Simon s'amène à Montréal avec un nouvel album, Stranger to Stranger, dans lequel il pousse encore davantage sa recherche musicale. Conversation avec un auteur-compositeur qui élève patiemment la chanson au niveau du grand art.

Pour Paul Simon, écrire une chanson, c'est comme assembler un «gros puzzle». Pour lui, c'est avant tout un processus d'essais et d'erreurs. «Je dis toujours que mon oreille repère automatiquement l'élément irritant», a-t-il récemment raconté depuis San Francisco, où il chantait dans le cadre de sa tournée qui s'arrêtera à la salle Wilfrid-Pelletier ce soir. «Il faut comprendre pourquoi cet irritant me déplaît et le remplacer par autre chose, et ça peut prendre pas mal de temps. C'est parfois frustrant d'essayer de résoudre ce mystère, mais ça ne se compare pas à se lever le matin pour aller creuser dans une mine de charbon. Je suis chanceux d'avoir fait ce boulot depuis l'âge de 13 ans. Ce n'est pas du tout de la torture, mais c'est un processus lent qui va de pair avec mon rythme naturel.» 

À 74 ans, Paul Simon n'a rien perdu de sa curiosité. Trente ans après son chef-d'oeuvre Graceland, enregistré avec des musiciens sud-africains, il continue de nous étonner avec son excellent nouvel album Stranger to Stranger. Ainsi, pour la toute première chanson, The Werewolf, il a demandé à des musiciens et à des danseurs de flamenco de battre le rythme avec leurs mains et leurs pieds, ce qui est devenu la base rythmique de cette plage. 

Pourtant, The Werewolf n'a rien de flamenco. Si on y prête l'oreille, on distinguera des sons électros, gracieuseté de l'artiste italien Clap! Clap!, un orgue d'église qui ajoute au ton apocalyptique de la fin de la chanson et même des voix repiquées de Late In the Evening, une chanson que Simon a créée en 1980. Plus encore, c'est la sonorité d'un gopichand, l'instrument indien qu'on entend au tout début de la chanson, qui lui a fait penser au mot werewolf (loup-garou). 

Certains des sons ou des idées musicales qu'on retrouve dans les nouvelles chansons de Paul Simon remontent parfois à trois ou quatre ans. D'autres lui viennent presque par accident, comme la basse et le claquement de mains dans Wristband qu'il a repiqués du refrain de The Riverbank et qu'il a ensuite retravaillés en studio pour en faire quelque chose de différent. «C'est drôle, on dit parfois de moi que je cherche constamment des sons, mais je ne cherche pas vraiment, précise-t-il. En fait, je suis très passif. J'écoute. Quand j'entends quelque chose qui me plaît, je le note dans ma tête et quand j'ai accumulé suffisamment de petits éléments d'information qui me séduisent, je peux aller en studio pour voir si en les regroupant ils pourraient prendre la forme d'une chanson.»

La musique avant le texte

Parce que Paul Simon a écrit certains des plus beaux textes de chanson depuis une cinquantaine d'années, on n'imagine pas que c'est d'abord et avant tout la musique qui est l'élément déclencheur pour lui. 

«Les paroles arrivent en dernier, confirme-t-il. Je commence avec un son ou un rythme comme dans la chanson Insomniac's Lullaby, je crée un environnement sonore, puis je me demande quel sujet irait bien avec cette musique.» 

«J'écris habituellement sur les mêmes sujets dans tous mes albums: l'amour, ce qui se passe dans le monde, la politique, mais ce n'est pas comme si j'avais une position à mettre de l'avant. Ça ressemble plutôt à une conversation.»

«Par exemple, The Riverbank traite du suicide chez les vétérans, un sujet dont on parlait beaucoup il y a trois ou quatre ans, puis c'est disparu et c'est de retour aujourd'hui. Dans Insomniac's Lullaby, je parle de la mortalité, mais j'ai plutôt tendance à m'éloigner de ce sujet, que je ne trouve pas particulièrement divertissant. Je ne pars pas avec l'idée de faire passer un message. En fait, je n'aime pas vraiment les chansons à message qui me donnent l'impression qu'on me sermonne. Si j'ai quelque chose à dire, je le fais habituellement dans une ligne ou deux, et je passe à autre chose.»

De la visite rare

Paul Simon ne nous a pas souvent rendu visite. Les fans de longue date se souviennent peut-être d'un concert de Simon & Garfunkel en 1967, mais par la suite, on ne l'a revu que quatre fois, dont la dernière lors d'un spectacle conjoint avec Sting au Centre Bell, en 2014. 

«Ça pouvait paraître improbable comme idée, mais ce fut un show intéressant. C'est un très bon musicien et il a un excellent band», dit-il de son ami Sting, qui a trouvé l'idée tellement bonne qu'il remet ça cette année avec Peter Gabriel. Par contre, vaut mieux faire son deuil d'un éventuel retour de Simon & Garfunkel, qui devaient s'arrêter au Centre Bell en 2010 avant qu'Art Garfunkel n'ait des problèmes de cordes vocales. «Ça ne se produira jamais», répond succinctement Simon. 

Ce qui l'allume vraiment par les temps qui courent, c'est son groupe de neuf musiciens qui l'accompagnent pour la plupart depuis un certain temps et dont certains ont même joué avec Philip Glass et Steve Reich. «C'est un groupe très flexible avec lequel j'ai beaucoup de plaisir à jouer. Avec eux, ma musique prend des couleurs différentes, celles de musiques que j'écoute mais qui ne sont pas nécessairement des musiques populaires.» 

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À la salle Wilfrid-Pelletier le 22 juin, à 20 h.