Au cours des 15 années vécues à Montréal, l'Américaine Laurel Sprenglemeyer est devenue Little Scream. Peintre, musicienne, chanteuse, parolière, elle fait partie de cette famille élargie de la mouvance indie, étiquette qu'elle décollerait de son identité sans se faire prier.

Compagne de Richard Reed Parry, membre d'Arcade Fire avec qui elle alimente aussi une relation créative, elle mène une carrière multidisciplinaire dont le nouveau chapitre est musical: sous étiquette Merge/Dine Alone, l'album Cult Following représente pour Little Scream une avancée déterminante.

On entre dans ce vieil édifice de l'avenue des Pins, on pénètre dans l'atelier de cette blonde trentenaire au sourire resplendissant. On a tôt fait d'observer ses tableaux de différentes dimensions, dont plusieurs illustrent des cavernes, stalactites, stalagmites... On jase, on jase et on finit par apprendre que la métaphore de la grotte est plus qu'un projet pictural.

«Dans mon nouvel album, j'explore le lien entre les relations humaines et la croyance. Plus précisément, j'essaie d'illustrer comment l'humain produit du sens autour de ses relations. Dans la même optique, cet album est une entrée dans l'inconscient, un voyage de l'intérieur.»

Son allégorie de la caverne n'est vraiment pas celle de Platon, force est de déduire. On lui passe la remarque, elle rit de bon coeur.

«Pas du tout, effectivement! Dans ma musique, j'ai imaginé une entrée spectaculaire, étincelante, invitante à la caverne. L'auditeur est invité à y pénétrer pour ensuite en effectuer l'exploration. À travers mes chansons, j'ai voulu évoquer ce qu'on projette et ce qu'on manifeste à cause de ses croyances et aussi ses illusions. Je pose aussi cette question: quelle est cette relation inextricable entre ces croyances et nos agissements?»

Une aventure musicale

Au-delà de sa dimension poétique, Cult Following est une véritable aventure musicale... hors des étiquettes auxquelles on peut s'attendre.

«Comme plusieurs, je me suis lassée de cette musique que l'on nomme indie. Aujourd'hui, je m'inspire davantage de sources classiques de la pop, du rock, de la musique moderne ou contemporaine: Prince, les Beatles, David Bowie, Joni Mitchell, Aerosmith, Debussy, Aaron Copeland, Caroline Shaw, etc. Vu mon profil autodidacte, cependant, mon approche n'est pas une de virtuosité ou d'écriture savante, mais plutôt une approche d'atmosphères, collages, multiples couches superposées.»

La liste de crédits de Cult Follwing a de quoi impressionner: y ont participé Sufjan Stevens, Sharon Van Etten, Bryce et Aaron Dessner (The National), Owen Pallett, Kyp Malone (TV on the Radio) et Mary Margaret O'Hara... Et alors?

«Il ne faut pas s'y méprendre, prévient Little Scream, leur présence est très discrète et résulte d'une amitié sincère avec chacun d'entre eux. Par exemple, Bryce et Aaron Dessner invitent régulièrement leurs amis artistes à travailler au sein de leurs projets, et j'ai fait de même avec eux, dans leur studio de Brooklyn. Autres exemples? Avec Sharon Van Etten, qui m'a déjà invitée à faire ses premières parties, nous avons enregistré de courts fragments dans le sous-sol d'un ami commun. Sufjan Stevens a fait des claviers sur une chanson, Owen Pallett a joué le violon sur quelques-unes et contribué à certains arrangements, et ainsi de suite.»

Le projet est plus montréalais qu'il n'y paraît, insiste Laurel. 

«En fait, les frères Andrew et Brad Barr, Marcus Paquin et Richard Reed Parry ont joué un rôle prédominant dans les séances d'enregistrement et la production. Richard est vraiment doué à titre d'arrangeur, et j'ai mis mon grain de sel dans ce travail. Une vaste partie de cet album, c'était moi seule avec un invité qui venait faire plusieurs prises en studio. Les arrangements sont venus de tous ces fragments d'inspiration. Il y avait tellement de couches que mes amis m'ont aidée à les émonder ou les assembler. Très intuitif, tout ça...»

Au bout du compte, ce deuxième album de Little Scream s'avère plus ambitieux et achevé que The Golden Record, son premier lancé en 2011.

«J'ai senti le besoin de pousser plus loin ma proposition musicale. Je me suis plongée dans un travail soutenu, je me suis améliorée à la guitare et aussi dans mon chant. J'ai pris les choses plus au sérieux et j'ai beaucoup appris de mes amis musiciens.»

Originaire de Dubuque, en Iowa, Laurel Sprengelmeyer a des origines allemandes, croates et britanniques. Origines très modestes, souligne-t-elle: «Ma mère est femme de ménage dans des hôtels, mon père est un petit commerçant d'antiquités, mes parents sont divorcés. Ma mère provient d'une famille de Témoins de Jéhovah, elle fut excommuniée et nous avons tous rompu avec cette communauté par la suite. Ce fut d'ailleurs très difficile, car personne de cette communauté ne vous adresse la parole lorsque vous la quittez, c'est-à-dire plusieurs membres de ma famille avec qui j'ai grandi. Dans ce contexte, j'ai mis beaucoup de temps à m'autoriser à devenir artiste.»

Ainsi, le monde de la création a remplacé celui du fondamentalisme chrétien chez Laurel Sprengelmeyer. Adolescente, elle s'est mise à la chanson. Elle a ensuite reçu une solide formation en arts plastiques avant d'étudier le design à Montréal. On connaît la suite? La suite se trouve dans la caverne...

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En première partie de Land of Talk, Little Scream se produit avec son groupe au Théâtre Fairmount, le mercredi 11 mai, à 20 h.