En toute courtoisie, Jace Lasek nous invite à parcourir un musée de sons et créatures étranges, conçu virtuellement au renommé studio Breakglass dont il est le propriétaire et principal réalisateur: A Coliseum Complex Museum, lancé sous étiquette Jagjaguwar avant un nouveau cycle de concerts.

Notre interviewé, sa compagne Olga Goreas et leurs collègues viennent ainsi de finaliser un cinquième chapitre de l'aventure The Besnard Lakes, toujours un joyau de l'indie rock montréalais.

Le processus de création

En marche depuis le début de la précédente décennie, ce groupe excellent se démarque par ses fresques de chants harmonisés, sortes d'oratorios space rock sur fond de claviers et guitares superbement saturés. Première observation soumise par Jace Lasek, ces tableaux de fine distorsion s'annoncent plus succincts: 

«Nous avons d'abord composé tout le matériel avant de nous présenter en studio. Pour l'album précédent (Until in Excess, Imperceptible UFO), cela avait été ardu de nous préparer avant d'entrer en studio, vu mes horaires très chargés en tant que réalisateur, mixeur, producteur. Les conditions de création n'étaient donc pas optimales. Depuis lors, j'ai appris à mieux aménager mon temps, tant et si bien que nous étions beaucoup mieux préparés avant d'enregistrer le matériel final.

«Ce fut agréable, relaxe et rapide. Dans cette même optique, nos nouvelles chansons s'avèrent plus courtes, plus concises, bien que... nous aimions encore les très longues ! Ainsi, nous pouvions choisir parmi 13 nouvelles chansons pour cet album qui en compte 8. Les autres finiront bien par être mises en circulation.»

Pour le meilleur et... pour le meilleur, Olga Goreas et Jace Lasek forment à la fois un couple et un noyau de création autour duquel gravitent les musiciens de The Besnard Lakes. À l'évidence, ce mariage continue à être heureux et d'autant plus prolifique: 

«Chacun peut apporter la première semence d'une chanson. Nous travaillions ensuite en équipe ou seul, auquel cas l'un aide l'autre à compléter, à tout le moins jeter un second regard. Regard critique, bien sûr; nous nous refusons toute complaisance, nous pouvons même être durs l'un envers l'autre. Créer la meilleure musique possible est pour nous primordial.»

Le sens des mots

Au-delà des sons, il y a les mots: A Coliseum Complex Museum s'avère un édifice imaginaire, aussi vaste qu'étrange. Cet espace poétique est traversé par une sorte de réalisme magique, c'est-à-dire que l'existence des mortels peut y être ponctuée d'épisodes surnaturels.

«Le titre de cet album, explique Jace Lasek, en induit les histoires des chansons. Nous avons tenté de visualiser ce qu'on pouvait trouver dans ce musée.» 

«Nous avons imaginé des choses, nous avons cherché à aménager un bâtiment étrange aux ambiances que l'on peut ressentir dans un film de David Lynch ou dans un roman de Tom Robbins. Vous pouvez y être salués par la bête de Bray Road, puis un lion d'or tournera autour de vous et ainsi de suite.»

«En même temps, nous cherchons à parler de la vie comme elle est si souvent: de travers! Toujours cette juxtaposition d'espoir et de désespoir, toujours ce désir qui peut vous envahir, ou encore cet homme honni par une société qui a déjà admiré sa déviance... avant de la condamner. Ainsi nous essayons de contribuer humblement à élever les consciences, sachant que notre pratique de musiciens et paroliers, apparemment, ne sert à rien.»

La voix et la saturation

Cela étant formulé, rappelons à Jace Lasek qu'on a tendance à percevoir la musique avant les mots de The Besnard Lakes, ce qu'il corrobore.

«C'est juste, les mots émergent à la toute fin de la création. Effectivement, nous tendons à considérer d'abord la voix comme un instrument à part entière, même si nous essayons ensuite d'en soigner la parole.»

Inutile d'ajouter que la primauté du chant reste et restera une caractéristique fondamentale de The Besnard Lakes.

«J'ai moi-même grandi avec des groupes portés sur la voix, mon père était un fan des Bee Gees pré-disco, des Beach Boys et de leur maître Brian Wilson. L'harmonisation vocale est pour moi une seconde nature. Peu pratiquent sérieusement cet art dans le rock? Très difficile à transcrire sur scène ! Prenons Pressure of Our Plans: cette nouvelle chanson n'est vraiment pas évidente à interpréter devant un public, tant pour son exécution que sa sonorisation.»

Les insertions de claviers et guitares dans ces chants harmonisés sont aussi typiques de la formation montréalaise, on a encore poussé plus loin la démarche. Et on réalise que cette façon de faire s'inscrit dans les traditions rock et americana, dont s'inspire Jace Lasek: 

«Tout au long du processus de création, vous savez, nous avons parlé des Eagles... il est d'ailleurs très étrange que Glenn Frey vienne de mourir ! Adolescent, j'aimais secrètement ce groupe dont mon père jouait les reprises, car je n'étais pas issu de cette génération... ce n'était pas cool d'aimer ce répertoire ! [rires] Dès lors, j'étais influencé par leurs motifs de guitare s'imbriquant dans les parties vocales de leurs chansons. Or, de mon côté, les insertions de guitares sont devenues beaucoup plus bizarres, nombreuses pédales à l'appui afin d'en modifier les textures.»

Après tout, nous ne sommes pas à l'Hotel California, mais bien dans cet insolite Coliseum Complex Museum!

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En concert le 19 février au Théâtre Plaza.

Jace Lasek présente...

Non seulement Jace Lasek est-il un musicien central de The Besnard Lakes (chant, guitares, etc.), mais encore possède-t-il le studio Breakglass, lieu incontournable de l'indie montréalais dont il est le principal réalisateur. Il vient tout juste d'y mixer les récents enregistrements de Moonface et de la formation Esmerine. Après avoir réalisé le nouvel album de The Luyas, il enregistre cet hiver le matériel de Saltland, Land of Talk et And The Kids.

Quand il n'y en a plus il y en a encore! Voici trois groupes encore peu connus, avec qui Jace a travaillé récemment et qu'il choisit de nous faire découvrir.

Dear Denizen

Ngabonziza Kiroko, chanteur d'origine congolaise que Jace considère extrêmement talentueux, suggère avec ses collègues de Dear Denizen un mélange abrasif d'électro-rock aux teintes post-punk et dark wave. Exprimée en anglais, cette mixtion exhale aussi des parfums lointains d'Afrique centrale, ce qui mène à croire que toutes les hybridations interculturelles sont possibles et d'autant plus souhaitables dans l'île montréalaise.

Pang Attack

En marche depuis le début de cette décennie, Pang Attack est constitué d'Alex Hackett, Yann Geoffroy et Dave Clark. Trois maxis et un premier album réalisé par Jace, North Country Psychic Girls, ont été lancés depuis. Prolifique, ce trio ne s'inscrit pas dans une tendance précise, ce qui est loin d'être un défaut: shoegaze, dreampop, relents de surf rock, crooning psychédélique!

Wake Island

Beyrouth et Montréal sont ici incarnés par Philippe Manasseh et Nadim Maghzal, musiciens férus de guitares, claviers et logiciels informatiques. Électro-pop, krautrock, musiques électroniques occidentales et ornements arabisants constituent l'expression de ces chansons à fleur de peau, interprétées en anglais. Réalisé par Jace, le deuxième album de Wake Island sera lancé en avril prochain.