Martha Wainwright n'a jamais été particulièrement entichée des disques pour enfants. «Ça m'énerve!», nous avait-elle dit alors qu'elle préparait Songs in the Dark, un album de berceuses pas tout à fait comme les autres enregistrées avec sa soeur Lucy Wainwright Roche, qui ne pouvait sans doute sortir qu'un vendredi 13.

Si elles ont été écrites pour la plupart pour des enfants, les chansons de ce fort bel album ont en commun un élément de tristesse, sinon un côté vraiment sombre. Même que les chansons les moins hop-la-vie sont parfois les plus belles de cet opus, comme la Lullaby qu'a écrite leur père Loudon Wainwright III.

«Il s'est écrit une berceuse qui est plutôt classique, dit Martha à l'occasion d'une conférence téléphonique à laquelle participe Lucy. Il y a un côté sombre dans la musique que Lucy et moi faisons, dans la musique qu'on aime et certainement dans celle de nos parents. Nous avons été forcées d'écouter ces chansons tristes, quand nous étions enfants, alors pourquoi ne pas les imposer à d'autres enfants?»

Et les deux soeurs de pouffer de rire.

Héritage commun

Sur cet album dépouillé où les voix prennent toute la place, on sent que, même si elles n'ont pas grandi ensemble, Martha et Lucy partagent un héritage musical qu'elles tiennent un peu de leur papa, mais surtout de leurs mères qui, ô hasard, ont fait carrière avec leurs soeurs: Kate McGarrigle, avec Anna, et Suzzy Roche, avec Maggie et Terre.

«Lucy et moi avons plus en commun qu'on ne le pensait, acquiesce Martha. Quand on est jeune, on met surtout l'accent sur ce qui nous différencie de ses frères et soeurs, mais, en vieillissant, on se rend compte qu'on ressemble à d'autres membres de ta famille.»

«C'est une bénédiction d'avoir des frères et des soeurs parce qu'on s'aperçoit qu'on n'est pas seul dans la vie.»

L'idée de ce premier album commun leur est venue tout naturellement quand, à la naissance de son premier enfant, Arcangelo, Martha a reçu d'une amie une compilation de berceuses.

«Depuis la naissance du fils de Martha, on a passé beaucoup plus de temps ensemble, surtout avec les enfants, mais aussi pour préparer les concerts de Noël en famille ou d'autres trucs, raconte Lucy. L'idée de faire un disque ensemble a germé à mesure qu'on apprenait à se connaître, mais ce n'était pas planifié de longue date.»

«Chanter ensemble, c'est quelque chose que notre famille a toujours fait, renchérit Martha. Rufus [Wainwright, son frère] et moi avons même commencé à discuter de la possibilité de faire un disque, tous les deux.»

Dans le chalet de ski du grand-père

Avec la collaboration du mari de Martha, Brad Albetta, les deux soeurs ont aménagé un studio d'enregistrement dans l'un des quatre petits chalets de ski qu'a bâtis le grand-père Frank McGarrigle à Saint-Sauveur.

«Martha a un lien encore plus profond avec cet endroit, mais il y a quelque chose de magique là-bas, même pour moi qui n'y ai pas grandi», dit Lucy.

«On a choisi le plus petit chalet, qui avait été négligé pendant des années, poursuit Martha. Ma mère rêvait d'y construire un studio, mais son projet n'a jamais abouti. Nous nous sommes limitées à nos guitares et nos voix avec, en plus, un petit orgue récupéré dans les ordures d'un voisin. Tout a été enregistré en direct et, par la suite, Brad a ajouté sa contrebasse et des trucs plus texturés et Éloi Painchaud est venu jouer de l'harmonica.»

Martha partage la propriété des chalets avec sa tante Anna, qui, du moins le croyait-elle, ne voyait pas leur projet d'un bon oeil: «Mais un jour qu'elle est venue nous voir, elle nous a dit: «Wow! C'est génial. Peut-être que vous allez gagner un Grammy avec ça.» »

Incidemment, ce sont les voix des enfants d'Anna, les cousins Lily et Sylvan Lanken, qu'on entend dans la berceuse sanguinolente Long Lankin.

«Comme ils ne pouvaient pas venir à Saint-Sauveur, on a installé des micros dans la chambre du fond de la maison de l'avenue Querbes, où ma mère est morte. C'est un peu macabre, mais ça convenait parfaitement à cette chanson», de dire Martha en riant.

Martha et Lucy chantent des chansons qui ont été écrites pour elles - Lullaby For a Doll, écrite par Kate, et Screaming Issue, pondue par papa Loudon et tante Terre -, mais il y a également sur leur album des choses qui ne sont pas vraiment des berceuses, comme El Condor Pasa, la complainte péruvienne popularisée par Simon et Garfunkel.

«C'est l'une des premières chansons que j'ai jouées à la guitare quand j'étais adolescente, explique Lucy. Même si ce n'est pas une chanson écrite expressément pour les enfants, elle a quelque chose d'enfantin et de triste. Et puis, c'est bien d'avoir une chanson connue qui incitera peut-être plus de gens à écouter notre disque.»

«C'est un disque que les adultes peuvent apprécier en l'écoutant avec ou sans enfants, renchérit Martha. Le soir venu, fermez la télé et mettez ce disque de berceuses.»

Martha et Lucy seront évidemment des deux concerts de Noël du clan McGarrigle-Wainwright à la Maison symphonique les 5 et 6 décembre. D'ici là, le 1er décembre, elles chanteront leurs berceuses au Centre Phi comme elles viennent tout juste de le faire à Londres et à New York.

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Au Centre Phi, le 1er décembre.

FOLK. The Wainwright Sisters. Songs in the Dark. Maple Music.