En août 2011, Emilie-Claire Barlow se trouvait à bord d'un brise-glace dans l'Arctique. Cette croisière au soleil de minuit fut l'amorce de bouleversements majeurs dans sa vie... qu'elle évoque dans l'album Clear Day, certes le plus ambitieux de sa discographie.

Au terme d'un processus échelonné sur quatre années, l'ex-Torontoise a étoffé sa proposition musicale, changé de vie intime, changé de ville... et souhaite conserver son public, celui-là même qui l'a hissée parmi les voix jazzy les plus appréciées au Canada - particulièrement au Québec, où elle réside depuis quelques jours à peine.

L'interview a d'ailleurs été prévue au domicile de la nouvelle résidante du Plateau, un logis baigné de lumière en ce matin d'octobre.

À bord de l'Amundsen, navire de la garde côtière canadienne affrété chaque été par un consortium scientifique afin (notamment) de cartographier la mer arctique, Emilie-Claire Barlow s'est donc trouvée à un carrefour de son existence.

«Ç'a été un choc de découvrir cette partie du monde. Mon esprit de découverte étant stimulé, ce fut l'occasion d'explorer mon for intérieur, de me clarifier l'esprit, d'envisager de faire le saut pour changer ma vie. C'est ce qui s'est produit.»

La suite fut marquée par la fin d'une union amoureuse et le début d'une autre avec l'homme qui a coécrit les orchestrations de Clear Day: le bassiste, compositeur et arrangeur Steve Webster.

D'une station à l'autre

L'album dépeint ces chamboulements à travers 14 chansons, pour la plupart des reprises ambitieusement jazzifiées.

Voici quelques stations marquantes de cette trajectoire, résumée par notre interviewée: 

«On A Clear Day [Burton Lane/Alan Jay Lerner] est très cinématographique; elle rappelle cet hélicoptère qui m'avait menée en pleine mer et qui s'était posé sur le navire Amundsen

«Midnight Sun [Lionel Hampton/Sonny Burke/Johnny Mercer], c'est la lumière qui devient magique avec ce soleil de minuit dans l'Arctique.»

«Because [John Lennon/Paul McCartney] traduit mon émerveillement face aux beautés étranges de l'Arctique et m'autorise aussi l'étrangeté. Mes improvisations vocales y deviennent les lignes mélodiques avec lesquelles nous avons façonné une part de l'orchestration.»

«Unrequited [Brad Mehldau/Emilie-Claire Barlow et Steve Webster] suggère cette idée qu'il faut se rendre à l'évidence et admettre ce qui ne tourne pas rond dans son existence. Cette musique de Brad Mehldau est idéale pour souligner cet état.»

«Under Pressure [David Bowie/Queen] représente pour moi l'obligation de changer de vie... et aussi la peur de prendre cette décision avec ses conséquences. La tension est tangible dans cette version, notamment dans la ligne que trace la basse.»

«Nous menons ailleurs la mélodie de la chanson It's Just Talk [Pat Metheny], pendant que notre texte raconte mon premier voyage au Mexique, ma première visite chez Steve.»

«Feelin' Groovy exprime notre état groovy lorsque nous étions sur la plage mexicaine... à ne rien faire.»

«La Llorona, chanson traditionnelle mexicaine actualisée par Lila Downs et Lhasa de Sela, a été adaptée en français. Je me trouve alors à dialoguer avec le fantôme de la Llorona, cette femme qui regrette amèrement d'avoir noyé ses enfants. C'est une chanson sur la douleur ressentie après une rupture, plus particulièrement la perte d'un lien privilégié avec les enfants de mon ex-conjoint, que j'aimais comme mes fils.»

«I Don't Know Where I Stand [Joni Mitchell], c'est l'exploration d'un nouvel amour, et ce vertige que suscite cette nouveauté.»

«Sweet Thing [Van Morrison] est douce et tendre comme l'est un nouvel amour. La voix est simplement accompagnée par la basse et la flûte.»

On en passe...

Expériences symphoniques

Au cours de ces six mois passés ensemble au Mexique, Emilie-Claire Barlow et Steve Webster ont puisé dans tous les styles et toutes les époques pour sélectionner ce répertoire et ainsi procéder à sa relecture orchestrale. Ils ont conçu ensemble la plupart des orchestrations; d'autres collaborateurs ont été mis à contribution, dont John Metcalfe, à qui l'on doit la facture du projet symphonique de Peter Gabriel, Scratch My Back.

La chanteuse de jazz rappelle en outre ce qui l'a poussée à mener à bien un projet aussi difficile: 

«J'avais déjà travaillé avec l'Orchestre symphonique de Québec sous la direction de Stéphane Laforest. J'ai voulu poursuivre l'expérience et aller plus loin. Nous avons exploré différentes possibilités et finalement choisi le Metropole Orkest de Hollande, idéal pour ce genre de projet. Ainsi, nous avons prévu les arrangements de manière à pouvoir les soumettre à différents orchestres symphoniques par la suite. En juin dernier, nous avons passé deux jours là-bas. L'orchestre était dirigé par le Britannique Jules Buckley, à qui l'on doit plusieurs projets orchestraux très intéressants pour des artistes comme Patrick Watson et Laura Mvula.»

En somme, Emilie-Claire Barlow se trouve grandie grâce à cette expérience déclenchée par cette croisière dans l'Arctique.

«Je voulais en dire davantage avec Clear Day, soit vraiment réinventer les chansons au programme. Mon auditoire n'est peut-être pas habitué à cette démarche, mais il était impératif pour moi de prendre ce risque à ce stade de ma vie.»

Par temps clair, sous le soleil de minuit, des mutations peuvent se produire... pour le meilleur.

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JAZZ ORCHESTRAL. Clear Day. Emilie-Claire Barlow. Empress Music Group.

Emilie-Claire Barlow se produira le 6 décembre à Sherbrooke avec l'Orchestre symphonique de Sherbrooke, le 18 décembre à Ottawa avec l'Orchestre du Centre national des Arts et, en petite formation, le 15 novembre à l'Upstairs.

Consultez toutes les dates de concerts d'Emilie-Claire Barlow: http://www.emilieclairebarlow.com