Louis-Jean Cormier sera en spectacle le 26 septembre au Grand Théâtre de Québec avant de poursuivre une tournée dans la province avec le spectacle de son deuxième album solo, Les grandes artères. Retour sur son expérience de coach à La voix, à TVA.

Je voulais te reparler de La voix. Tu en parles comme d'un tourbillon. Ç'a été plus effervescent que ce que tu imaginais?

Même en faisant abstraction du fait que je suis devenu connu de la majorité des gens du jour au lendemain, ç'a été quelque chose de très prenant. Les candidats sont des êtres humains et toi aussi. Tu ne peux pas te dire que c'est juste un jeu avec Patrice L'Écuyer qui anime. Il y a des moments où tu files mal parce que tu as laissé partir quelqu'un. Tu reçois plein de messages haineux sur les réseaux sociaux. Je me suis même fait traiter de raciste! Et ma vie a changé. Il faut que je surveille comment je m'habille pour aller à l'épicerie...

Les effets de la notoriété t'ont surpris?

Ce qui m'a surpris, c'est de me rendre compte que je n'étais pas connu alors que je pensais l'être un peu [rires]! J'avais une vision erronée de la grandeur du bassin de mélomanes qui connaissaient Karkwa. C'est l'effet de vivre à Montréal dans un microcosme de musiciens. La voix m'a fait faire un «zoom out».

Tu as été étonné que certains disent: «C'est qui, lui? On ne le connaît pas! On n'en veut pas...»

Ça m'a fait rigoler. Je me disais que certains allaient apprendre à me connaître. C'était prétentieux [rires]! Je me suis lancé là-dedans comme dans une étude sociologique. Pour savoir comment ça se passe à l'intérieur de cette machine-là, et les répercussions que ça peut avoir. J'ai vraiment trouvé ça intéressant. J'ai apprivoisé le sentiment d'envahissement de la notoriété. Il y a beaucoup plus d'amour que de haine! Tu fais plus d'argent, mais tu te fais tout offrir. Quand tu as mangé du beurre de pinottes comme j'en ai mangé, tu le prends!

As-tu senti l'effet de La voix quand tu as lancé Les grandes artères?

Les ventes du disque ressemblent à celles du Treizième étage, avant La voix. C'est même un peu plus lent. Peut-être que l'effet a été éphémère. J'aime que la télé et la musique soient deux choses distinctes. Je veux que ma musique ait le rayonnement qu'elle mérite.

La télévision nourrit l'ego de manière assez disproportionnée. Tu es devenu un nouveau sex-symbol du Québec. Comment as-tu géré ça?

Ma condition familiale de gars qui habite à Laval avec sa blonde et ses deux enfants ramène sur la terre assez vite! Le réveil sonne le matin et l'école commence à huit heures moins quart. La télé, ça m'a plus «débloqué» qu'autre chose. Je ne suis pas juste un artiste sombre et torturé qui écrit ses émotions. Je m'imaginerais même animer une émission de télé. Je ne soupçonnais pas ça de moi. Autant les gens m'ont découvert, autant je me suis découvert. Mais je ne passe pas mon temps devant le miroir à me dire: «My God, quel sex-symbol!» [rires] Chaque fois que quelqu'un me dit ça, je ne comprends pas...

La voix incarne les «15 minutes de gloire» qu'avait prédites Andy Warhol. Les candidats sont jeunes, portés aux nues. On peut craindre pour la suite...

C'est clair. J'avais des filles de 15 et 16 ans dans mon équipe. Elles n'ont pas fini le secondaire et elles sont déjà catapultées sous les projecteurs, sans savoir tout ce qu'il leur faut encore pour faire le métier. Je les ai laissées partir et j'ai reçu des messages haineux.

Ça joue dur à La voix!

Georges Laraque m'a traité de raciste [rires]! Elles étaient trop jeunes. Ça peut être lourd de conséquences. Ça peut fucker quelqu'un. Je suis un sceptique. Je m'inquiète, oui, pour la suite des choses.

Es-tu tanné qu'on te parle de La voix?

Non! C'est un incontournable. Pour moi, c'est un moment charnière, dans un certain sens. Ça n'a pas changé le créateur ni les idées, mais ça a modifié mon parcours. Ça m'a permis de m'installer. Je vois des gens qui travaillent fort comme moi, mais qui ont de la difficulté à vendre des disques et dont les salles sont à moitié vides. Ce n'est pas évident en 2015 pour les artistes de la relève qui commencent! Ce serait triste qu'ils jettent l'éponge.

As-tu eu l'impression que ton nouvel album a été perçu ou analysé autrement parce que tu as fait La voix? Il parle du couple, de rupture. Il n'est pas forcément autobiographique, mais, quand on est plus connu et qu'un public s'intéresse à sa vie privée, est-ce plus difficile à assumer?

J'ai senti deux choses. Cette espèce de décalage entre la réalité et la perception des gens qui se disaient: «Mon Dieu, il a vraiment été troublé par son expérience à la télévision!» Et puis, venant du microcosme musical québécois, l'impression que des critiques avaient changé d'avis à mon sujet parce que j'avais fait de la télévision. Je lisais des critiques qui ne disaient à peu près rien du disque mais qui parlaient surtout du fait que j'étais devenu populaire.

Tu as souffert d'une sorte de snobisme?

Surtout de la part de certains puristes. Je trouve ça dommage. Tu me diras que je suis dans une position pour trouver ça dommage [rires]! Avec Karkwa aussi, j'ai connu un moment dans l'ombre et un autre où on était plus en lumière. Certains puristes disaient qu'on était devenus trop populaires...

Vous avez vendu une toune pour une pub de Coke!

Une fois qu'elle a servi pour une pub de Coke, tout d'un coup, la toune n'était plus bonne. Pourtant, c'était la même toune... Tu l'aimais, tu lui as donné 9 sur 10, mais là, tu ne l'aimes plus. Je suis un peu tanné de ça. J'en ai parlé avec des journalistes: il y a des artistes comme Beck qui sont multimillionnaires, qui font de superbes disques et que vous continuez à aimer et à encenser, mais, au Québec, si tu deviens populaire, même si tu continues à faire de la musique qui est relativement champ gauche, tu es rendu une putain. Même les gens avec qui tu travailles se font accuser d'être devenus plus sucrés, sirupeux et populaires à cause de toi. Finalement, ce qu'ils veulent, c'est qu'on reste pauvres!

Ça s'apparente à un réflexe adolescent qui m'a toujours irrité: celui de ne plus aimer un band obscur qu'on adorait, juste parce qu'il est devenu populaire dans la cour d'école. Tout d'un coup, c'est moins cool...

Les gens qui ne font que suivre les modes et les courants, c'est presque un trait de faiblesse d'esprit. Gaston Miron s'était fait dire par de jeunes poètes que sa plume était «d'un autre temps». Il leur a répondu que leur plume était «d'un temps» et que la sienne était «de tous les temps». Les modes passent. La suivante déclasse la prochaine. C'est toujours quelque chose d'éphémère.

Est-ce que, consciemment ou inconsciemment, tu as voulu que Les grandes artères soit moins pop que Le treizième étage, après avoir fait La voix? Pour ne pas donner à ce nouveau public ce qu'il attendait de toi?

Il a fallu que je me batte contre l'intuition qu'il fallait que je fasse quelque chose de moins pop, de plus déroutant et fucké. Il ne fallait pas le faire juste pour le faire.

Tu ne voulais pas que ce soit une posture...

Si je fais de l'art, c'est pour exprimer quelque chose. Pas pour ne rien exprimer en étant en contradiction avec quelque chose. J'avais deux ou trois démons. Je me disais qu'on allait m'attendre au détour, qu'on allait trouver ça trop pop. J'étais le plus pop de Karkwa et je vais le rester. Mais j'ai un esprit libre et je n'ai pas peur d'aller dans des zones plus trash, parce que je viens aussi du jazz et de la musique actuelle. Ce disque-là devait aller un peu partout. C'est ce que je voulais.