Sans studio et sans le sou, le jeune rappeur new-yorkais Prince Harvey a secrètement enregistré tout un album sur les ordinateurs d'une boutique Apple pendant quatre mois. Une belle leçon de détermination qui n'aurait sans doute pas déplu à Steve Jobs.

Pantalon de vinyle rouge, t-shirt chamarré et tresses décolorées, sur scène comme dans la vie, Prince Harvey ne passe pas inaperçu. L'hiver dernier, le jeune rappeur a toutefois fait un effort conscient pour s'habiller plus discrètement afin de ne pas trop attirer l'attention sur lui alors qu'il accumulait les heures au magasin Apple du quartier de SoHo, à New York.

Comme la plupart des boutiques du géant de l'informatique, celle de SoHo compte de nombreux ordinateurs en démonstration. Les clients peuvent y tester les machines, les touristes y consultent leurs courriels en vacances.

Normalement, les employés d'Apple, pompeusement appelés «génies», permettent à tout un chacun d'utiliser les machines pendant une quinzaine de minutes.

Prince Harvey, avec la complicité des quelques employés, excédait largement ce quota. «J'étais là cinq heures par jour, cinq jours sur sept», précise l'artiste.

Originellement, le jeune rappeur comptait enregistrer un démo sur son propre ordinateur, mais ce dernier l'a lâché avant de lui être dérobé. Fauché, mais doté d'une détermination plus grande que nature, il a eu l'idée de squatter les machines d'Apple.

«Beaucoup de gens trouvent des excuses pour expliquer pourquoi ils ne se rendent pas au bout de leur projet: "Je n'ai pas d'ordinateur, je n'ai pas d'argent, je n'ai pas de contrat avec une maison de disques..."», plaide le sympathique rappeur aux origines caribéennes.

«J'ai voulu montrer que l'on peut faire ce que l'on veut quand on le désire vraiment.» 

Au final, il a produit 12 morceaux qui se retrouvent sur son premier album intitulé PHATASS, comme dans «Prince Harvey at The Apple Store Soho». Ils sont presque tous a capella. Des sons de trompette aux percussions, Prince Harvey n'a utilisé qu'un seul instrument, sa voix, et le logiciel grand public Garage Band pour polir le tout.

«Pour les sons de trompettes, c'était relativement simple, dit-il en se mettant à imiter l'instrument favori de Miles Davis. Pour les percussions, cela dépend. Dans le cas de la caisse claire par exemple, je soufflais simplement dans le micro et j'éditais cela en jouant avec l'ordinateur», dit-il.

«Je souhaitais montrer que la voix est l'instrument le plus important qui soit. Et je voulais réaliser un projet où j'utilisais uniquement ce que j'avais déjà sous la main», ajoute-t-il.

Même s'il chante qu'«il est parfois dur de rester positif» sur son premier simple, Sometimes, le jeune chanteur est une véritable ode à la détermination. Déménageant constamment d'un appartement à l'autre dans une ville où les loyers sont hors de prix, il a passé des mois à survivre en se produisant comme «amuseur public».

N'ayant pas froid aux yeux, le rappeur se faisait prendre en photo par des hordes de touristes en compagnie d'un combiné radiocassette alors qu'il n'était vêtu que d'un Speedo et d'une immense chaîne dorée. «C'est comme cela que j'ai financé mon album», explique-t-il.

Aujourd'hui, Prince Harvey est finalement parvenu à s'acheter un nouvel ordinateur et assure tout seul la promotion de son album. Et force est d'admettre que son énergie et sa détermination extraordinaires paient. Son histoire s'est répandue comme un feu de brousse sur l'internet.

Mieux, du quotidien The Guardian à Fox, une foule de médias sont tombés sous son charme. Et même des stars du hip-hop, de Talib Kweli à Russell Simmons, ont pris la peine de le féliciter via les réseaux sociaux.

Le jeune rappeur, qui ne s'attendait clairement pas à un tel accueil, est évidemment ravi de la tournure des événements. «Je savais que j'avais le potentiel pour faire parler de moi, de ma musique, mais je ne me doutais pas que mon histoire aurait un tel retentissement aux quatre coins de la planète», se félicite-t-il.

Quant à son prochain album, il espère quand même le produire de manière plus traditionnelle, dans le confort d'un studio, où il n'aura pas à se tenir debout des heures de temps face à un écran...