Deux albums, 33 titres au nouveau programme de l'increvable et non moins prolifique Wesli Louissaint. Établi à Montréal depuis une décennie, il s'affirme une fois de plus comme l'un des musiciens haïtiens les plus doués des dernières décennies, république et diaspora confondues.

Un peu plus de trois ans après la sortie de Liberté dans le noir, il ressurgit avec deux opus: un premier acoustique de type troubadour, très haïtien, et un autre très 

montréalais, brillante illustration de l'ébullition transculturelle dans son île d'adoption.

À quelques heures de son spectacle-lancement (mardi au Théâtre Plaza), Wesli se présente au rendez-vous. Frais et dispos? Flamboyant, pour ne pas dire spectaculaire, même devant une tasse de thé vert, ce mec de grande taille affiche le sourire éclatant qu'on lui connaît. N'allons surtout pas confondre cette joie d'exister avec quelque candeur, quelque innocence, quelque frime; nous savons de quel (ti) bois se chauffe notre chanteur, guitariste, parolier, compositeur, arrangeur, réalisateur et leader d'orchestre.

Une Étoile Nouvelle en Haïti

Wesli est d'attaque pour mettre de l'avant ses deux patries. Il commence par son île d'origine, célébrée dans l'album Ayiti Étoile Nouvelle.

«Cet album est un hommage aux racines de mon pays natal. Je l'ai conçu sur une base acoustique de musique haïtienne, avec de petites influences des Antilles et de l'Afrique. J'ai déjà été guitariste de musique mandingue (Sékouba Bambino et Kanja Kouyaté), c'est naturel pour moi. Dans l'ensemble, cet album est marqué par le rara et le konpa haïtiens, mais surtout par le style troubadour, notamment celui de Toto Laraque, une référence dans ce style. J'avais 14 ans quand il m'a appris une technique de guitare qui me sert encore aujourd'hui. Son fils Pascal est un ami d'enfance; nous avons fondé notre premier band ensemble. Comme moi, Toto et Pascal vivent maintenant à Montréal. Toto poursuit sa carrière, Pascal possède un studio et j'ai de nouveau travaillé avec lui parce qu'il connaît si bien la musique haïtienne.»

Hormis Pascal Laraque et son guitariste de père, artistes créoles, africains, latins ou québécois de souche ont participé au projet: les chanteuses Malika Tirolien et Sanya M. Elie, le groupe Ti Koka, le percussionniste Daniel Bellegarde, le MC et réalisateur Boogat, et on en passe. L'album haïtien de Wesli porte le nom d'une école qu'il a fondée dans la zone de Lalue, quartier pauvre de Port-au-Prince où il a grandi: Ayiti Étoile Nouvelle.

«J'ai fondé cette école lors d'une tournée nationale en 2013. J'ai pu y constater les dégâts causés par le tremblement de terre. Ouf... Dans le contexte, j'y ai donné plusieurs ateliers de musique. Dans mon quartier, j'ai été accueilli en héros. Plein de petits Wesli étaient venus avec leur guitare! 

«C'était inspirant de conseiller ces jeunes. Lorsque j'ai quitté les lieux, cependant, je les ai sentis tristes d'être laissés à eux-mêmes. C'est pourquoi j'ai démarré ce modeste centre de formation musicale. 

«Depuis, j'y retourne chaque année, poursuit-il. Lorsque je n'y suis pas, des collègues donnent des ateliers deux fois par mois. Nous avons monté un chapiteau sur un terrain vague que nous prête son propriétaire. Mais il faut faire plus, c'est-à-dire offrir des cours réguliers à ces jeunes. C'est pourquoi je lance ce premier album de la série Ayiti Étoile Nouvelle afin d'amasser des fonds pour assurer le développement de ce centre. Tant qu'il manquera de l'argent, je ferai des albums!»

Fin mars, Wesli sera de retour en Haïti. Il compte y faire une autre tournée nationale et y défendre son nouveau matériel.

Le son d'un ImmiGrand

Si le premier opus de la paire est entièrement interprété en créole, le second est surtout chanté en français avec compléments créoles, espagnols, chiacs, etc. Les arrangements et l'instrumentation y sont plus considérables, plus électriques, plus ambitieux. ImmiGrand s'avère un furieux mélange de dancehall, reggae, afrobeat, rara, konpa, funk, merengue, jazz, rigodon et plus encore. Parmi les collaborations, on compte Radio Radio, Mamselle Ruiz, Dramatik, Nomadic Massive, sans compter des invités de Port-au-Prince, soit les très talentueux Belo et B.I.C.

«ImmiGrand, c'est mon son, estime Wesli. Le titre rappelle que je suis un immigrant et que je suis devenu un grand garçon. Cet album, c'est aussi la richesse de Montréal et la maturité acquise par ses artistes venus de partout. Je ne serais pas ce que je suis si je ne vivais pas à Montréal.»

Et pourquoi cette abondance? Pourquoi deux albums d'un seul coup?

«Vous savez, je ne suis pas très business... Je suis vraiment dédié à ma passion qui est la musique. J'aime donner généreusement à mon public avec qui il me faut rester en contact permanent.»

Autosuffisant

Malgré les éloges, malgré le succès d'estime, Wesli Louissaint a dû construire sa propre structure d'affaires. Et varier les propositions:

«Sur scène, par exemple, je joue en trio (guitare, percussions et choriste) et en grande formation (neuf musiciens, cuivres, anches, claviers, percussions, basse, choriste, guitare, etc.). L'an dernier, j'ai donné une cinquantaine de spectacles à trois. Avec le gros band, c'est moins souvent, mais j'aime y mélanger les deux approches - troubadour et mon main sound. Ainsi, je gagne assez bien ma vie comme artiste indépendant. Je fais exactement ce que je veux, mais je n'ai pas le showbiz québécois derrière moi. Je dois être autosuffisant.»

S'il peut compter sur un tourneur, un responsable des communications et un distributeur, Wesli n'a pas cet agent et ce producteur qui le feront tourner dans le monde entier, comme cela devrait se produire à ce stade de sa trajectoire artistique. Encore aujourd'hui, il doit financer lui-même la production des enregistrements qu'il réalise.

«C'est brut, c'est du rough, convient-il. On enregistre chez moi ou dans mon local de répétition. Hormis une subvention du Conseil des arts du Canada, c'est mon argent qui a payé ces albums. J'aimerais déléguer, je cherche encore... Ici, très peu de professionnels croient au potentiel de ce genre de musique. Alors? Il ne faut quand même pas faire de compromis.»

«Dans le circuit des musiques du monde, on réprouve les concessions au marché local. Garde ta propre signature, sinon oublie la carrière internationale. Si l'industrie québécoise veut s'impliquer, elle doit respecter le son», ajoute-t-il.

Si ça piétine trop longtemps dans cette île, d'ailleurs, Wesli pourrait rentrer en Haïti et y refaire sa base.

«Étrangement, c'est plus facile de voyager vers l'Europe à partir d'Haïti. Les producteurs européens viennent régulièrement y dénicher de nouveaux talents. Plus qu'à Montréal! Là-bas, BIC et Bélo ont été découverts par des étrangers qui financent leurs tournées internationales. À Montréal, il faut agir sans le soutien de l'industrie. Dommage, car c'est la ville idéale pour la créativité.»

Reste à souhaiter que Wesli ne délaisse aucune de ses îles...

MUSIQUE DU MONDE

Wesli

Ayiti Étoile Nouvelle et ImmiGrand

Wup Wes Urban Productions