Pourquoi tout ce buzz autour de Pierre Kwenders? Parce que le chanteur incarne à la fois le Congo de son enfance et une culture musicale traversée par l'Occident, l'Amérique, le Québec, Montréal. Parce que si la production africaine d'ici est très majoritairement orientée vers des sonorités world appartenant aux générations antérieures, le son Kwenders s'en démarque clairement.

Whisky&Tea et African Dream, deux maxis de Pierre Kwenders parus en 2013, ont soulevé beaucoup d'intérêt. Le dernier empereur bantou, son premier album qui paraît sous étiquette Bonsound, s'inscrit également dans ce sillon. Représentative de sa génération, cette approche est entrelardée d'électro, de hip-hop, de pop indie, excluant de facto tout passéisme musical.

«Je suis surpris de mon ascension rapide», confie calmement José Louis Modabi alias Pierre Kwenders, un nom d'artiste choisi pour rendre hommage à son grand-père congolais qui fut jadis un entrepreneur prospère. En entrevue mardi dernier, le chanteur cachait plutôt bien le stress qui le gagnait avant ce concert qu'il allait présenter quelques minutes plus tard au Centre Phi.

«J'ose croire qu'il y a quelque chose dans ma musique pour attirer les gens, au-delà de la communauté black. Je ne voulais pas me trouver dans ce trou des musiques africaines des années 80, où les groupes et chanteurs finissent tous par se ressembler. Refaire Angélique Kidjo ou Youssou N'Dour, ce n'est pas mon truc. On est en 2014, c'est le temps d'emmener ça ailleurs.

«Il faut dire aussi que ne suis pas qu'africain, car j'ai passé près de la moitié de ma vie au Québec. Les deux mondes font et feront toujours partie de moi.»

Ex-membre de Radio Radio, Alexandre Poirier alias Nom de Plume a réalisé les chansons African Dream, Mardi gras, Irène et Let It Play. Poirier a réalisé Kuna Na Goma. Samito a réalisé Cadavere, Popolipo, Ani Kuni, Ali Boma Yé, Sorry et Mami Wata (de concert avec J.u.D.).

«Alexandre, c'est l'art à l'état brut, son énergie se propage partout dans ma musique lorsque je travaille avec lui. Chez Poirier, je sens la maturité dans la création. Samito, lui, jongle très bien entre les deux. Je l'ai rencontré à travers Radio Radio, avec qui j'ai collaboré et pour qui il faisait les claviers, il y a deux ans. On s'est trouvé des affinités, à commencer par nos origines africaines, puisqu'il vient du Mozambique. Il a d'abord travaillé avec moi sur African Dream, il est présent sur la majorité des chansons de l'album.»

Clore un cycle

Convenons avec Pierre Kwenders que Le dernier empereur bantou est la suite logique des deux maxis.

«Je n'ai pas voulu reproduire ce qui avait déjà été fait, même si j'ai récupéré quelques titres des maxis. La différence entre les premières chansons et les nouvelles résulte d'une évolution graduelle. Le maxi Whisky&Tea, fut une introduction douce à la chose, African Dream a injecté une certaine énergie, les nouveaux titres s'agencent bien à tout ça. Cet album va clore ce cycle d'une même inspiration, mais... il faut d'abord le jouer!»

Différents musiciens ont participé au Dernier empereur bantou: Julien Sagot (Karkwa), percussions; Samito, claviers; Kim Ho, guitare, etc. Les chanteurs et MC Coltan Kalongo, Jacques Alphonse Doucet (Jacobus), Baloji, Nuengeleti Aimé Matsinhe, Simonal Bié, Poncho French, The Posterz (Husser et Sir Share-It). Sur scène, Kwenders est entouré de Julien Sagot et de Daniel Leznoff, claviers et guitares, sans compter quelques pistes numérisées et balancées en temps réel.

Autre facteur séduisant, les fringues flamboyantes du chanteur et une mise en scène aux accents afro-impériaux. Pierre Kwenders pousse l'affaire jusqu'à porter le même chapeau qu'arborait naguère feu Mobutu Sese Seko, sombre dictateur qui fut longtemps à la tête de son pays d'origine. Et pourquoi avoir repris l'extrait d'un discours donné à l'ONU dans les années 70?

«Je n'irai jamais jusqu'à dire que je suis fan de Mobutu, mais je crois que ce discours-là était pertinent. Un être absolument répréhensible peut-il parfois dire des choses intelligentes? Tout à fait. En fait, cet extrait allait bien avec la chanson (Kuna Na Goma). Je n'ai pas de problème à assumer. Je sais que mon look peut faire mobutiste: je porte le même chapeau que lui. Or, ce chapeau est coutumier chez les chefs africains, il fut porté très longtemps avant Mobutu. Je m'amuse à jouer avec ces signes de manière très ironique, sans vouloir politiser l'affaire. Ça va avec le personnage que je construis. Ce personnage, ce n'est pas moi.»

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