Quinze ans, que Jean-Jacques Daran avait ce projet de disque voix-guitare. Il vient de se faire plaisir avec Le monde perdu, qu'il a enregistré seul dans son studio du Mile End et fait mixer à Los Angeles par un «roi de l'acoustique» proche de Ben Harper.

«C'est le dépouillement ultime», dit Daran du Monde perdu, ce «tuyau guitare-voix» dans lequel il fait entendre quelques mesures d'harmonica. Un huitième CD en 22 ans qu'il voit en parfaite continuité avec les précédents parce que, affirme-t-il, «ce disque représente complètement ce que je suis maintenant».

Lire: un «citoyen du monde» qui, arrivé à la cinquantaine, a décidé d'émigrer au Québec en 2010 parce qu'il voyait ici un terreau plus favorable à la création. Un perfectionniste qui s'investit totalement dans son art, sans égard pour les exigences de la radio ni pour celles du marché. «Je n'ai pas de plan de vol...»

Daran navigue à vue, en suivant les côtes de ces océans qu'il adore, avec un faible marqué pour les pays nordiques, dont il apprécie l'esprit d'entraide et où, qualité ultime, «il n'y a pas de kékés qui se promènent en cabriolet à 20 sous zéro». Des kékés? «Oui, des douchebags...»  Dans sa patrie française, Daran a toujours préféré la Bretagne à Saint-Tropez.

Nonobstant le continuum artistique, par ailleurs, il dit avoir évolué comme chanteur. «Ma voix a pris en épaisseur en bas, mais je monte moins haut.»

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Daran 

Et que chante Daran dans ce Monde perdu? Des histoires pas très jojo, en fait, que lui a écrites son vieux complice Pierre-Yves Lebert: «Mon alter ego. À deux, on fait un auteur-compositeur...»

Ici, Gens du voyage, ces Romanichels sédentarisés des bretelles d'autoroute qui rêvent du temps où «la pauvreté n'était pas la misère». Là, Youri, Mario et Youssouf qui «boivent le temps qui passe» au bar Mieux qu'en face. En face du cimetière et du commissariat...

Les préférées de Daran? Rien ne dit, un texte assez opaque de Lebert, et Le bal des poulets, le drame de la fermeture d'un abattoir de poulets. Mondialisation...

FUIR LA MOROSITÉ EUROPÉENNE

À la dernière minute, le Québécois Moran est arrivé avec une chanson intitulée L'exil. «Ça, c'est l'exception culturelle!» Aucune frontière ne devrait dépasser nos bras... Chanson de regret de celui qui dit avoir immigré «dans la ouate»? Pas du tout. Les raisons «un brin politiques» qui l'avaient amené ici dans le temps de Sarkozy sont toujours là sous Hollande.

«La morosité européenne pousse beaucoup de jeunes Français vers le Québec», dira Daran en évoquant un objectif gouvernemental de 670 000 immigrants, indispensables «pour faire tourner la machine». Va falloir construire des tours sur le Plateau...

Daran, lui, est monté dans le Mile End et s'en explique avec le sourire: «Je ne suis pas venu à Montréal pour habiter dans un arrondissement parisien...» Le Plateau n'en reste pas moins un marché naturel pour Le monde perdu...

Augmenter la difficulté

Daran aime les défis. Quand il n'en trouve pas à son goût, il s'en crée. Pour le plaisir.

En 2009, Daran avait invité le bédéiste Michel Alzéal à dessiner en direct pendant les spectacles de sa tournée Couvert de poussière, titre de son septième CD et d'une bédé qu'Alzéal avait conçue à partir de ses chansons. Le bédéiste travaillait à partir de planches projetées sur un écran, dans la salle.

Pour sa tournée du Monde perdu, qui débutera en janvier, Daran a voulu «augmenter la difficulté»: intégrer les dessins d'un artiste travaillant live, toujours, mais dans un film. Première étape et première difficulté: concevoir un logiciel. S'il en existe des dizaines pour intégrer les dessins live à des images fixes, il n'en existait aucun pour arriver à la même fin sur une vidéo. Jusqu'à ce que Daran en passe la commande.

«Montréal compte plein de Professeurs Tournesol», lance le chanteur pour qui Serge Maheu a déjà inventé un logiciel qui permettra à la dessinatrice Geneviève Gendron de faire entrer ses flashes dans un film conçu par Daran et tourné au Québec.

TESTER LA FORMULE

Un exemple, simple. Dans le film, un personnage entre dans une pièce; l'artiste dessine une lampe, le personnage actionne le commutateur et... la lampe s'allume. Pendant que Daran chante Tchernobyl.

Avec son équipe, il travaille déjà à ce spectacle dans la petite salle du Rialto, sur l'avenue du Parc. Janvier est si loin et si proche en même temps (première montréalaise: le 20 février au Gesù). Entre-temps, toutefois, il y a les showcases, ces vitrines d'automne où les artistes présentent aux diffuseurs de toutes les régions du Québec des extraits de leur spectacle à venir.

Comme ROSEQ - le Réseau des organisateurs de spectacles de l'Est du Québec -, qui présentera en «vitrine» quelque 40 artistes, en octobre à Rimouski.

Quinze minutes, c'est pas long. Faut que la lumière s'allume!

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CHANSON


Le monde perdu

Daran

Le mouvement des marées

Sortie mardi prochain

Photo archives Le Soleil

Sur scène Daran poursuit sa volonté de mêler dessin et musique. 

Photothèque La Presse