Sans minimiser l'impact de ses refrains fédérateurs et de son métissage musical, Zebda est avant tout affaire de textes et d'engagement. La Presse a joint le chanteur Mustapha Amokrane («Mouss») au Timhotel Montmartre pour décortiquer Comme des Cherokees. Cet album poursuit le combat engagé avec Second tour, lancé en 2012 après un hiatus de huit ans. Quatre mots pour... entendre.

HOLLANDE

«On cherche des gestes qui ouvrent des espaces, des bras qui font des ouvertures ou des passes.» - Essai

La France militante a été témoin de la ferme poignée de main échangée entre les membres de Zebda et François Hollande au second tour de la présidentielle française, en 2012. Les projecteurs étaient alors braqués sur la bande toulousaine, qui venait ironiquement de livrer... Second tour. Deux ans plus tard, les espérances de la troupe sont mortes et enterrées sous les politiques d'austérité et le discours identitaire du gouvernement socialiste. «On ne se faisait pas trop d'illusions, et il faut dire qu'on a soutenu Hollande alors qu'il était le seul candidat dans la course contre Sarkozy, explique Mouss au téléphone. On souhaitait surtout un coup de barre après 10 années de politiques de droite et antisociales qui nous désespéraient.» La crise politique qui secoue la France et l'impopularité record du président français auraient facilement pu condamner le groupe au cynisme, mais il n'en est rien sur cet album groovy et dansant.

«On essaie de ne pas verser dans la sinistrose et dans le «tous pourris», poursuit Mouss. Pour nous, il est évident qu'il y a encore des militants sincères.» Zebda s'éloigne donc de la politique et s'approche du politique, un vivre ensemble inclusif et sans parti. «Plutôt que de parler directement de la politique, on parle de la place qu'elle prend dans nos vies, dans nos identités culturelles et nos perspectives d'un avenir moderne. Ce n'est pas parce que nous habitons en France ou au Québec qu'il faut tout accepter: il y a encore beaucoup de choses à construire.»

IMMIGRATION

«Quand on est Noir, c'est les travaux d'Hercule, pour trouver une chambre ridicule.» - Fatou

Comme des Cherokees fait une large place à la situation des filles et fils d'immigrés des quartiers populaires de France. L'album raconte à la fois les «chibanis», ces vieillards maghrébins qui vivent à l'ombre des retraites dorées, et les «Fatou», un sobriquet argotique et péjoratif associé aux jeunes Noires.

Les membres fondateurs de Zebda - les frères Amokrane et Magyd Cherfi - sont issus de l'immigration et en connaissent un lot sur l'exclusion sociale et la souffrance des minorités. Le nom du groupe signifie d'ailleurs «beurre» en arabe, qui est aussi un qualificatif en verlan pour désigner ses locuteurs. «Nous sommes des enfants de l'immigration algérienne, des enfants d'ouvriers, raconte Mouss. Ça a défini notre espace de développement à l'enfance et à l'adolescence, mais aussi notre vie d'adultes.»

Avec la montée de l'extrême droite en Europe et la morosité économique ambiante, les immigrants n'ont jamais été aussi à l'écart dans la poursuite du bonheur, selon Zebda. «Le niveau de vie modeste des immigrants est tel qu'il ne leur permet plus d'accéder à l'ascension sociale. Mais il y a dans ces quartiers des paradoxes fascinants: moins on a de choses, plus on est solidaire; plus on subit, plus on s'unit. Ensuite, bien sûr, il y a malheureusement ce désespoir qui mène à la haine, à la violence.»

TOULOUSE

«Le bel accent des mamies, est-ce qu'il a donné son blues, aux gens de l'Académie?» - L'accent tué

Que ce soit sur L'accent tué ou sur Essai, la Ville rose déteint sur plusieurs pièces de Comme des Cherokees. Les musiciens militants y sont nés et y vivent toujours, avec l'affection réservée à ceux qui l'ont connue par le bitume, le bruit et l'odeur. Zebda dissimule, entre les sillons du disque, un hommage à Toulouse empreint de nostalgie. Mais le groupe, qui connaît un succès certain dans l'Hexagone - ses trois derniers disques ont atteint le top 3 du palmarès des ventes - et ailleurs dans le monde, est appelé à mordre dans les kilomètres et la célébrité.

Est-ce que cette «gloire» les éloigne de leurs racines? Non, assure Mouss. «On fait de la musique depuis 25 ans, alors on a réussi à trouver notre rythme, notamment lorsqu'on partage notre temps entre Toulouse et Paris. C'est là que tout se passe au point de vue du show-business. On arrive très bien à gérer notre présence et nos contradictions dans les deux villes. C'est le nécessaire pour que la musique soit notre métier.»

CHEROKEES

«Petit, on préférait le revolver aux flèches, pas les Indiens qui vous coupent la mèche.» - Le panneau

Pendant longtemps, Zebda s'est identifié à la bande à John Wayne plutôt qu'à celle de Geronimo. Pourquoi avoir intitulé cet album Comme des Cherokees, une allusion au peuple amérindien? «C'est une question de référence politique et poétique, précise Mouss. Lorsqu'on écoutait des westerns, à 17 ou 18 ans, on fantasmait sur l'image du cowboy, de l'homme blanc extraordinaire qui combat les Indiens sauvages, scalpeurs de femmes et d'enfants.»

Dans Le panneau, les Toulousains expliquent bien leur proximité symbolique avec les Premières Nations, qui se sont battues contre la colonisation, mais aussi contre les perceptions. «En vieillissant, on s'est rendu compte qu'on avait beaucoup plus d'affinités psychologiques et militantes avec les Indiens, qui se sont fait massacrer, qu'avec les cowboys», explique Mouss. À plusieurs moments sur l'album, l'image de l'Amérindien évoque la position du dominé et de l'exclu - bref, ces marginaux que Zebda continue de défendre corps et âme, en mots comme en musique.