«Des regrets? Est-ce que j'ai des regrets?» Corey Hart laisse son regard bleu courir dans l'atrium éclaboussé de lumière en réfléchissant un instant à sa réponse. Le plus facile serait de dire qu'il n'a aucun regret, qu'il vit bien avec ses choix et qu'il est très heureux d'avoir fait tout ce qu'il a fait, y compris renoncer à sa carrière de rock star pour être à temps plein auprès de sa femme et de ses quatre enfants. Mais Corey Hart n'aime pas la facilité. «Bien sûr que j'ai des regrets, s'écrie-t-il. Qui n'en a pas?»

Nous sommes à 10 jours de son 52e anniversaire, qui coïncidera avec un événement important: son concert d'adieu le 31 mai au Centre Bell. Le dernier concert de Corey Hart à Montréal a eu lieu il y a 12 ans à la Place des Arts. Comme back up band, le Montréalais de naissance cadet des cinq enfants de Bert Hart et de Mina Weber avait l'OSM. Rien de moins.

Depuis, Corey Hart a décidé de tirer un trait définitif sur sa carrière de scène: «À un moment donné, j'ai compris que je ne pourrais tout simplement pas être à la fois un bon performer, parti en tournée toute l'année, et un bon père pour mes enfants. Et comme il était vital pour moi de voir grandir mes enfants, de les accompagner à l'école ou à leurs cours de tennis, je n'avais pas le choix. Je sais que certains artistes sont capables de faire les deux. Pour moi, c'était carrément impossible.»

Corey Hart est assis devant moi comme il y a 30 ans quand je l'avais qualifié de jeune Rastignac de la pop. Sa chanson Sunglasses at Night venait de faire un malheur aux États-Unis et d'ouvrir la voie à une décennie de tubes et de tournées ainsi qu'à la vente de 16 millions de disques.

Physiquement, il n'a pas beaucoup changé. Corps mince, cheveux courts, visage à peine marqué, jeans, t-shirt, bras nus où il a fait tatouer les prénoms de ses quatre enfants: India (18 ans), Dante (16 ans), River (14 ans) et le petit dernier de 10 ans au prénom météorologique de Rain.

Avant que l'entrevue ne commence, Corey Hart est entré dans la suite de l'hôtel du Vieux-Montréal accompagné de Julie Masse, qui n'a pas vieilli d'un iota elle non plus, et de Rain.

Lorsqu'ils ont aperçu mon exemplaire de Chasing the Sun, une bio abondamment illustrée qui sera lancée le jour du concert, ils ont sauté dessus avec avidité. «Chanceuse!», s'est écriée Julie Masse, qui voyait pour la première fois le livre terminé.

Corey Hart a peut-être quelques regrets, mais ils ne concernent certainement pas sa vie de famille à Nassau avec Julie et les enfants. Lorsque, plus tard, je lui ai fait la remarque qu'il avait une belle vie, il a acquiescé: «C'est vrai, et tout le but de ce concert d'adieu, c'est justement de remercier mes fans de m'avoir permis de vivre cette vie-là. Tout ce que j'ai, ma maison, ma vie, c'est grâce à eux.»

Dans mon métier, j'entends souvent des chanteurs multiplier les clichés sur leur gratitude envers leurs fans. Mais Corey Hart semble savoir trouver les mots pour éviter les clichés et parler avec émotion et franchise.

Ainsi en est-il de Chasing the Sun, cette bio que Corey Hart a écrite et publiée lui-même. «Beaucoup de maisons d'édition étaient intéressées par le projet, mais si je leur avais dit oui, je savais que j'en aurais perdu le contrôle et que j'aurais été obligé de raconter plein d'histoires croustillantes que je n'avais pas envie de raconter. En étant l'éditeur, j'ai pu faire les choses à ma manière et révéler ce que je voulais bien révéler.»

Parmi les confidences qui lui ont donné le plus de fil à retordre, il y a les années noires de 2005 à 2010. Une hernie discale, causée par un coup au hockey puis aggravée par une chute au tennis, l'a plongé dans une longue agonie où la douleur physique et le désespoir ont failli le pousser au suicide. Hart a hésité longtemps avant d'en faire état. Il conclut le chapitre avec la longue liste d'interventions qu'il a subies et puis avec le mot Basta, formule polie pour dire qu'il ne veut plus en parler. Surtout pas en entrevue.

Pour le reste, le chanteur se raconte avec franchise, revenant sur sa relation douloureuse avec son père. Charmeur, fêtard, volage et accro à la cocaïne, Bert Hart, qui a fait sa fortune en achetant et en revendant des terrains, était le père absent par excellence.

Alors que Corey avait 10 ans, son père a quitté sa famille pour s'installer à Nassau, pour des raisons à la fois amoureuses et fiscales. Après cela, Corey n'a plus vu son père qu'une fois par année, à Noël, à Nassau. Il avoue d'ailleurs que son déménagement avec Julie Masse à Nassau, en 1996, visait une forme de rapprochement avec son père, qui est mort sept ans plus tard.

Devant les carences d'un parent, un enfant a le choix: soit il se venge en faisant pire, soit il répare en devenant meilleur. Corey Hart a choisi la deuxième option en devenant un père exemplaire.

«C'est l'effet direct de Bert. Tôt dans la vie, j'ai su deux choses: que je voulais faire de la musique et que je ne voulais pas être un père touriste.»

Une vie musicale

Côté musique, Corey Hart a été précoce. Grâce à sa soeur aînée, Donna, ex-patineuse olympique, qui connaissait Tom Jones, il a enregistré un 45 tours à 12 ans à Las Vegas avec Paul Anka. Puis, sept ans plus tard, il a profité du passage de Billy Joel au Forum pour faire parvenir aux six musiciens qui l'accompagnaient une maquette de ses chansons. À 2h du matin, le saxophoniste du groupe l'a appelé pour l'inviter dans son studio, à Long Island.

Entre cet été 1981 à Long Island et la sortie de son premier album, First Offense, en 1983, Corey Hart a vécu des hauts et des bas, faits d'euphories galvanisantes et de déceptions cuisantes, sans jamais renoncer à son rêve. Cet entêtement a été le thème de ses 20 ans et de l'un de ses plus grands tubes, Never Surrender.

C'est l'étiquette Aquarius, établie à Montréal, qui lui a donné sa première chance et EMI, aux États-Unis, qui l'a propulsé sur les palmarès avec ses lunettes de soleil et sa dégaine à la James Dean. Mais comme Hart le raconte, il n'était pas prêt à se retrouver devant des arénas de 20 000 fans en délire. «Souvent, après de tels concerts, je quittais la scène et je me réfugiais dans la douche pour pleurer, tant j'avais le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur.»

Ce manque de confiance chronique, propre à la soudaineté de son succès, s'est estompé depuis. Samedi prochain, après des semaines intenses de répétition, c'est un Corey Hart au sommet de sa forme et de sa maturité qui promet de s'avancer sur la scène du Centre Bell pour un tour de piste de 36 chansons.

Il est déjà assuré que Julie Masse viendra en pousser quelques-unes avec l'homme de sa vie. Jonathan Roy, fils de Patrick Roy et nouveau poulain de Corey Hart et de son étiquette de disques Siena, y sera aussi. Et dans la salle, parmi les quadragénaires qui se rappelleront le temps où ils portaient des lunettes de soleil la nuit pour avoir l'air cool, il y aura quatre têtes blondes. Trois grandes filles et un petit garçon qui ont été élevés à penser qu'ils avaient un père comme les autres et qui découvriront que ce n'était pas tout à fait le cas.

Quant au père en question, il jure que si jamais, ce soir-là, il doit verser quelques larmes, ce sera à coup sûr des larmes de joie.

Corey Hart en cinq dates

1962 : Naissance

À Montréal, le 31 mai; il est le cadet des cinq enfants de Bert Hart et Mina Weber.

1973 : Rencontre marquante

En avril, il chante pour Tom Jones à Miami et, sept mois plus tard, il enregistre deux chansons avec Paul Anka à Las Vegas.

1983 : Premier album

Sortie de First Offense, enregistré en Angleterre. Le tube Sunglasses at Night fait de lui une idole instantanée.

1995 : Vie amoureuse

Rencontre avec la chanteuse Julie Masse. Les deux quittent leurs conjoints respectifs et, l'année suivante, s'installent à Nassau, aux Bahamas.

2014 : Adieu

Douze ans après son dernier concert à Montréal, Corey Hart fait ses adieux à ses fans dans un spectacle d'un soir seulement au Centre Bell.