À 85 ans bien comptés, Gilles Vigneault lance l'album Vivre debout, trois ans après la tournée du même nom. Un disque en forme de bilan pour un homme qui, s'il ralentit un peu le rythme, n'a pas fini de créer.

Entre la chanson L'inventaire et le poème Petit bilan provisoire, Gilles Vigneault boucle la boucle et touche à tous les genres qu'il a abordés sur disque depuis plus d'un demi-siècle: des chansons de personnage, d'amour, de pays, un pamphlet sur l'exploitation de l'uranium à Natashquan, une berceuse à sa petite-fille Marion pour endormir ses toutous, le «souvenir souriant et dansant» (Tu chantais) que lui a inspiré sa femme Alison et, pour terminer, trois poèmes sur fond de piano.

L'inventaire, qui a failli donner son titre à l'album, est un programme en soi, qui s'amorce sur un propos autobiographique et débouche rapidement sur des préoccupations plus sociales et politiques touchant l'environnement et le partage inéquitable de la richesse.

«J'ai changé mon refrain qui disait: «Face à face ou dos à dos/Seul à seul ou côte à côte/Nous sommes les cosmonautes/D'un seul et même vaisseau». C'est mon regret sur le disque», nous dit le poète et chansonnier dans l'ancien restaurant de Saint-Placide qui lui sert de local de travail.

Mais c'est un tout petit regret, noyé dans la joie que lui a procurée la création de ce premier album de chansons originales en six ans. Dans le livret de Vivre debout, Vigneault écrit: «Pour la première fois en cinquante ans, j'ai eu hâte, chaque après-midi du mois de janvier, d'arriver en studio.»

«C'est la vérité!», répond-il spontanément.

Rien à voir avec les pianistes qui l'ont accompagné par le passé et qui transcrivaient les mélodies qu'il inventait «à 95%», précise-t-il. «C'était de ma faute parce que j'avais peur de ne rien connaître en musique, d'aller exprimer une opinion qui n'aurait pas eu d'allure sur le fait de mettre du violon, du sax ou de la flûte sur telle mélodie. Cette fois-ci, j'avais autorité. Et je me suis laissé aller à donner mon opinion.»

Des couleurs jazzées

Il en remercie son nouveau pianiste Jean-François Groulx, «un être exquis sans une once de prétention, mais avec des tonnes de compétences», et un certain Daniel Lavoie qui signe la réalisation de Vivre debout. «Tout le monde ne le prendrait peut-être pas comme réalisateur, mais moi, parce que je suis également auteur-compositeur, j'ai eu confiance tout de suite et il m'a fait un travail extraordinaire.»

Les deux hommes - et les musiciens qu'ils ont recrutés - donnent à ces nouvelles chansons des couleurs jazzées nourries par le piano et la contrebasse, mais aussi par des cuivres et un violon qui n'est pas celui qu'on entend habituellement sur les disques de Vigneault. Daniel Lavoie nous l'avait dit récemment: «C'est du pur Vigneault, mais vous allez être surpris.»

Pour accompagner les trois poèmes que Vigneault dit à la fin du disque, Groulx a improvisé des musiques, reprenant ça et là des thèmes connus, de J'ai planté un chêne à J'ai pour toi un lac. «Un jazzman, ça trouve, fait remarquer Vigneault. Des fois, Alison me dit: «Qu'est-ce que tu cherches?» et je réponds prétentieusement et effrontément: «Le poète ne cherche pas, il trouve.» Et on rigole. Jean-François, il trouve. Il a des allusions, il a des sourires et il taquine volontiers.»

Être utile

Gilles Vigneault n'a peut-être jamais autant parlé de la mort que sur ce disque, de façon très ouverte mais sur des musiques apaisantes.

«C'est beaucoup parce que je crois qu'il y a quelque chose après la mort, explique-t-il. On peut ridiculiser ça, on peut ne pas croire ça, on peut respecter ça, mais on ne peut pas nier qu'à la grandeur du monde, il n'y a pas un peuple connu qui ait considéré qu'après la mort, c'était fini. C'est l'espoir de l'humanité qui s'exprimait comme ça parce que la vie n'était pas assez longue. Aujourd'hui, la vie s'allonge et ça pose les problèmes qu'on sait avec les pensions et les retraites. [...] On dit toujours qu'ils sont à charge de l'État, mais moi, quand je dis ce que je dis, que j'écris ce que j'écris et que je compose ce que je compose, je ne me trouve pas inutile. Peut-être le suis-je des fois, mais pas toujours...»

Ses proches ont eu la frousse à pareille date l'an dernier quand il a dû être hospitalisé pour une pneumonie atypique provoquée par des champignons de bois. Pas lui, assure-t-il. «Mais une fois que je suis passé au travers, je me suis demandé si ce n'était pas un petit avertissement, quelqu'un qui cogne à la porte et qui dit: «Es-tu certain que tu vas vivre éternellement?»», ajoute-t-il en faisant toc-toc-toc sur la table en bois.

On pense à sa nouvelle chanson Coyot' Bill sur un jeune Métis perdu à Montréal, dans laquelle Vigneault chante: «T'es ben fort mais tu vieillis/Tu vas pas jouer à Tarzan/Jusqu'à quatre-vingt-dix ans.»

«J'imagine qu'on vous a déjà dit ça?

- Ben oui. C'est un sourire...»

Fini toutefois les tournées au même rythme que Vivre debout. L'artiste a dans ses cartons une formule qui l'intéresse, très libre, à mi-chemin entre la conférence et le récital, et dans laquelle il va être accompagné du pianiste Jean-François Groulx et de l'animatrice-modératrice Françoise Guénette.

Vivre debout a beau être un album-bilan, Gilles Vigneault ne le voit surtout pas comme son dernier disque ni comme l'ultime chapitre de sa carrière.

«Non, non, non. Pas du tout. J'espère que la vie continue.»

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CHANSON. Gilles Vigneault, Vivre debout, Tandem.mu/Sélect. Sortie mardi prochain.