D'abord un message pour ces dames. Bien qu'Émile Proulx-Cloutier ait récemment semé un vent d'espoir en tombant follement amoureux du personnage d'au moins 20 ans son aîné qu'incarne Geneviève Rioux dans Toute la vérité, c'est de la fiction. Désolée.

Dans la vraie vie, Émile Proulx-Cloutier est en couple avec la belle Anaïs Barbeau-Lavalette. Il est aussi le père adoré de deux petits gamins, Ulysse et Manoé. Bref, mesdames, vous pouvez rêver à lui tant que vous voulez, son coeur est pris.

Mais tout n'est pas perdu. Car Émile Proulx-Cloutier n'est pas qu'un père fidèle et responsable qui paie ses impôts et trie ses ordures ménagères, c'est aussi, à ses heures, un poète insomniaque, un pianiste du vague à l'âme et un artiste habité par un désir fou de s'exprimer en toute liberté.

C'est cet Émile-là qu'on retrouvera cette semaine chez les disquaires avec son tout premier CD, Aimer les monstres, neuf chansons en forme de courts métrages magnifiquement arrangées par Philippe Brault, où se déploie une galerie de personnages portant chacun en eux un monstre intérieur.

«Moi, ma job comme acteur ou comme artiste, c'est de comprendre les monstres, pas de les juger!»

Émile vient de lancer cette dernière phrase avec du feu dans les yeux. Cela fait une bonne demi-heure que nous sommes assis sur les banquettes en cuirette bleue de chez Beauty's, au coeur du Montréal de Mordecai Richler. Émile est arrivé avec son sac à dos et son polar, la chemise fripée, la tête dépeignée, un peu tout croche, mais porté par l'insolence lumineuse de ses 30 ans.

La pochette de son CD était couchée sur la table devant nous, entre ma tasse de café et son smoothie aux fruits. Aimer les monstres, lui ai-je demandé, est-ce que c'est aimer des types comme Hitler, Guy Turcotte ou Luka Magnotta?

Émile ne s'attendait pas à cette question, ou du moins ne semblait pas avoir envisagé que le titre de son CD prêterait flanc à de telles extrapolations.

«Aimer les monstres, a-t-il répondu, c'est être capable de reconnaître la part monstrueuse en chacun de nous. Les monstres cristallisent nos peurs. Ce sont des démons intérieurs que nous devons apprivoiser, mais pour répondre à ta question, non. Ni Hitler ni Turcotte ne faisaient partie de mes préoccupations en imaginant ce projet.»

Longue gestation

Ce projet, il est en gestation depuis au moins trois ans, sinon depuis le jour où Émile a reçu une batterie en cadeau et s'est mis à taper dessus dans le sous-sol.

«Ma vie créative a vraiment commencé avec la musique, plus qu'avec le théâtre ou le cinéma, dit-il. J'ai fait du piano à partir de 8 ans, joint les Petits Chanteurs du Mont-Royal à 10 ans, mais mon premier moment de composition, je l'ai vécu au mariage de mon père, il y a 20 ans. Il m'avait demandé de composer une pièce pour la cérémonie.»

Par la suite, la musique est devenue chez l'acteur en plein apprentissage une bulle et un refuge. «Je me souviens de fêtes au Conservatoire d'art dramatique où, subitement, je quittais la piste de danse pour aller m'enfermer dans une pièce et jouer 15 minutes de piano avant de revenir parmi mes camardes.»

Ce n'est qu'en 2010 qu'Émile Proulx-Cloutier est finalement passé à l'acte et s'est mis à composer. Plusieurs événements concordants l'avaient poussé à faire le saut. D'abord, sa blonde est partie en tournage à l'autre bout du monde, le laissant seul au piano. Mais surtout, un premier enfant était en route et, devant l'imminence de cette nouvelle réalité, le compositeur a été pris de vertige et d'un sentiment d'urgence.

«J'ai compris que si je ne m'aménageais pas vite un espace de créativité et de liberté, j'allais être bouffé par le poids de mes responsabilités», raconte-t-il.

En se mettant à la plume et au piano, Émile aurait pu se faciliter la vie et nous raconter son quotidien, ses peines, ses joies, l'enfant à naître, etc. C'est mal le connaître.

«Désolé, mais il n'y a aucune chanson qui se passe dans mon appartement, ironise-t-il. J'ai plutôt choisi de faire vivre des personnages qui n'ont rien à voir avec moi, mais qui, pourtant, me permettent de me révéler comme jamais. Ce qui est extraordinaire avec la chanson, c'est que t'es libre de dire ce que tu veux, d'interpréter qui tu veux et d'activer un film dans la tête des gens sans que ça coûte un million. La chanson, c'est le lieu de toutes les permissions.»

Reste qu'après avoir composé l'essentiel du matériel d'Aimer les monstres, Émile s'est privé d'une permission: celle de faire un disque. Il a décidé qu'il ferait de la scène et apprendrait les rudiments du métier avant. Cela l'a amené au stage en chanson de Petite-Vallée. Arrivé les épaules collées et le coeur plein de doutes, il en est reparti avec sept prix et un désir volcanique de continuer.

Énorme surprise

Deux ans plus tard, après avoir donné une quarantaine de spectacles en trio ou en solo, il était enfin prêt à lancer un CD. À quoi ressemble cette première incursion au pays des auteurs-compositeurs? À une oeuvre drôle, dure, tendre, révoltée, à mi-chemin entre les Colocs et Pierre Flynn, avec une pincée de Desjardins. C'est épique, caustique, volcanique, cinglant.

On y rencontre un ado enfermé dans sa chambre qui passe son temps à tuer des monstres, un cowboy en cavale sur l'autoroute de l'échec (Votre cochon se couche), un vieil homme aux doigts brûlés par la cigarette dans Les mains d'Auguste, une vieille qui n'existe plus dans le regard des hommes et se désole que seul le vent veuille soulever sa jupe.

Il y a aussi Race de monde, cette chanson réquisitoire contre l'esprit bedaine au pays de la malbouffe et de la malbaise, où Émile martèle: «Tu veux que je fasse comme toi, que j'rentre dans la parade? Mange donc un char allégorique de marde!»

Ceux qui ont découvert Émile sous les traits gentils de Maxime Cadieux dans Toute la vérité vont avoir une énorme surprise en écoutant Aimer les monstres. Mais qu'ils n'aient pas peur. Il n'y a rien de monstrueux chez ce nouveau venu dans la famille des auteurs-compositeurs, sinon la prodigieuse étendue de son talent.