À l'occasion du ancement du nouvel album d'Arcade Fire, Reflektor, la chanteuse Régine Chassagne et le batteur Jeremy Gara ont accepté de répondre à nos questions.

Q : Quel est le coeur de Reflektor?

R.C.: Je ne sais pas si c'est la même chose pour chacun dans le groupe. Pour moi, c'est Haïti. Le rythme, l'esprit de carnaval, tous ces voyages qu'on a faits là-bas depuis quelques années. Win et moi sommes allés à Jacmel et ailleurs en Haïti. Le groupe est aussi venu y jouer.

J.G.: Je suis d'accord avec Régine. Les rythmes d'Haïti et des Antilles sont au centre de l'album. En Louisiane, Win, Régine et Will ont d'abord travaillé avec les percussionnistes du groupe haïtien RAM. Ils ont exploré plusieurs rythmes pour élargir la palette du groupe. Par la suite, nous avons beaucoup joué et improvisé à partir de ces rythmes, sans vouloir les reproduire parfaitement.

R.C.: Nous avons cherché à établir un dialogue, entrer en relation avec les Haïtiens. À travers le rythme, nous avons trouvé une façon de communiquer avec les gens de ce pays que nous aimons.

Q : La plupart des chansons sont longues et n'ont rien à voir avec les standards de la radio FM commerciale. Vous ne les avez donc pas pensées en fonction de ce type de diffusion, n'est-ce pas?

J.G.: Non, pas du tout! Plusieurs chansons de cet album sont d'abord fondées sur le rythme pour ensuite devenir des chansons. Ce qui n'est pas tout à fait le processus de création d'une chanson pop. Nous avons plutôt l'impression que ces chansons sont courtes, car nous en avons réduit la longueur!

R.C.: Il s'agissait entre autres d'essayer de traduire une expérience de carnaval. On ne pouvait donc créer des chansons de trois minutes. Il faut prendre le temps de se perdre dans ces chansons pour s'imprégner des rythmes sur lesquels elles sont construites.

Q : Consciemment ou non, la majorité des supergroupes comme le vôtre conserve le même son. Pourquoi continuez-vous à changer votre son?

J.G.: Honnêtement, je crois que nous ne sommes pas très conscients de ces changements avant qu'ils ne se produisent. Ce qui importe, au bout du compte, c'est de s'autoriser à être excité, enthousiaste. Maintenir cet état d'excitation exige un effort constant de notre part.

R.C.: C'est comme la vie, en fait. Naturellement, il faut se laisser porter par les événements, puis s'autoriser les changements que la vie nous suggère. Cette fois, la vie nous a menés en Haïti. Quelques jours à peine après la soirée des Grammy [en février 2011], nous sommes allés jouer dans le Plateau Central là-bas. Ça ne pouvait être plus différent [rires]!

Q : Parlons des textes, des thématiques. Un exemple, peut-être?

R.C.: Depuis longtemps, on parle de Reflektor, chanson titre [à laquelle David Bowie a collaboré]. On en parlait même à l'époque de The Suburbs. Un jour, je jouais du piano dans le salon, Win est descendu en me disant: «Hey, continue là-dessus!» Nous avons ensuite écrit le texte à partir du mot reflektor. L'idée était d'évoquer plusieurs petits reflets. Pour Win, vous savez, une chanson peut avoir une signification différente de la mienne.

J.G.: Nous nous efforçons aussi de ne pas «surécrire» les textes, c'est-à-dire de laisser les mots émerger et conserver plus ou moins intacte la poésie initiale.

Q : Au moment où ces lignes seront lues, Arcade Fire aura déjà donné des concerts-surprises à la Salsathèque de Montréal, dans un entrepôt de Brooklyn, sous la bannière The Reflektors, ainsi qu'à Miami et en Californie. D'autres spectacles s'ajouteront bientôt, mais la rumeur veut que la «vraie» tournée commence au printemps 2014. Le cycle de la scène est bel et bien en marche ?

J.G.: Pour nous, c'est vraiment le début de la nouvelle aventure sur scène. On explore...

Q : Comment allez-vous faire, Régine, avec votre nourrisson? Avez-vous pris le temps d'accoucher, le printemps dernier?

R.C.: J'étais rentrée de New York à la dernière minute [rires]. Je voyageais avec la plus tolérante des compagnies aériennes pour les femmes enceintes comme je l'étais.

J.G.: Régine is very tough. Elle vous répondra qu'elle a pris une bonne pause après son accouchement, mais ce n'est pas vrai [rires].

R.C.: Le petit gars vient avec nous en tournée...

Q : Sur scène, d'autres musiciens vont-ils s'ajouter à la formation?

R.C.: Owen Pallett est parmi nous, du moins pour le début de la tournée. Deux percussionnistes haïtiens de Montréal, Ti-Will [Willinson Duprate] et Diol Kidi, nous accompagnent également. Ça pourrait encore changer, nous sommes en train de monter l'affaire.

Q : Pour terminer, où situer l'album Reflektor par rapport aux trois précédents?

J.G.: Nous ne faisons pas souvent de retour en arrière...

R.C.: Lorsque j'en serai là, je serai près de mourir!

DERRIÈRE LES MASQUES

Jeremy Gara : 35 ans, est né à Ottawa. Batteur d'Arcade Fire, il a joué au sein de plusieurs formations, dont Kepler, Weights & Measures, Clark, Snailhouse. Il a fait les percussions dans l'album Heartland signé Owen Pallett.

Régine Chassagne : d'origine haïtienne, 36 ans, est née à Montréal et a grandi à Saint-Lambert. Chanteuse et multi-instrumentiste, elle joue des claviers, de l'accordéon, du xylophone et des percussions. Elle a fait des études de communication à l'Université Concordia et des études de musique à McGill.

Tim Kingsbury : né à Guelph, en Ontario. Il joue de la basse, de la guitare et des claviers. Son arrivée à Montréal coïncide avec les débuts d'Arcade Fire.

Edwin Farnham Butler : dit Win, 33 ans, est le chanteur principal et l'auteur-compositeur central d'Arcade Fire. Il a grandi au Texas et vit à Montréal depuis l'an 2000, où il a rencontré sa femme, Régine Chassagne, membre du groupe et mère de son fils.

Richard Reed Parry : 36 ans, est originaire de Toronto. À la fin des années 90, il a suivi un programme d'électroacoustique à l'Université Concordia. Il joue de la contrebasse, des claviers, de la guitare, de l'accordéon, des percussions. Il fait partie du Bell Orchestre et a collaboré avec The National et Little Scream.

William Pierce Butler : dit Will, 31 ans, est le frère de Win Butler. Multi-instrumentiste, il joue des claviers, de la basse, de la guitare, des percussions et de certains instruments à vent.

Sarah Neufeld : 34 ans, est originaire de Vancouver-Est. À l'âge de 18 ans, elle a quitté la Colombie-Britannique pour aller vivre à Montréal avec son ami Tim Hecker, artiste électronique. Violoniste, elle est aussi membre du groupe instrumental Bell Orchestre et a collaboré avec le groupe The Luyas.

DEUX COLLABORATEURS D'EXCEPTION

James Murphy

Le New-Yorkais James Murphy, 43 ans, a été la figure de proue du défunt groupe électro-dance-punk LCD Soundsystem. Avec le producteur britannique Tim Goldsworthy, il a fondé, en 1999, le label Death from Above (DFA). C'est lui, le principal réalisateur invité de l'album Reflektor.

«L'écriture des chansons était assez avancée lorsqu'il est venu travailler avec nous, précise Jeremy Gara. Nous voulions un oeil extérieur, un point de vue différent du nôtre sur nos chansons. James nous a poussés à donner le meilleur de nous-mêmes.

Son influence déteint-elle sur Reflektor?

«On a peut-être écrit en pensant inconsciemment à James, répond Régine Chassagne. On connaît James depuis un bon moment et on voulait travailler avec lui. À Montréal, il a passé un mois, soit deux séquences d'environ deux semaines. C'était super de pouvoir compter sur un musicien aussi aguerri.»

Owen Pallett

Le Torontois Owen Pallett, 34 ans, est violoniste, claviériste, chanteur, arrangeur. Sous le pseudonyme de Final Fantasy, il a remporté le prix Polaris en 2006, pour l'album He Poos Clouds. Outre Arcade Fire, avec qui il a signé maintes orchestrations, il a collaboré avec Grizzly Bear, Stars, The National et Franz Ferdinand. Il mène aussi une carrière solo sous son vrai nom.

«Au début de l'album, nous n'étions même pas sûrs qu'il y aurait de la place pour des cordes, dit Régine Chassagne. Mais vers la fin des sessions, Owen est venu à Montréal. Il est un des rares qui puissent nous dire qu'on pourrait changer ceci ou cela lorsque nous avons le sentiment d'avoir pensé à tout. Je n'ai pas de mots pour décrire toute mon admiration.

«Pour la chanson Here Comes The Night Time II, j'étais très fatiguée, enceinte jusqu'au menton. Je lui ai dit que ça prenait des cordes. Il m'a demandé ce dont j'avais besoin. J'ai fredonné la chanson en bougeant mes mains. Il m'a regardée, s'est mis à écrire. Puis m'a montré son travail en me demandant: «Comme ça?» J'ai répondu: «Ben oui, comme ça!»»

GÉNIES DU MARKETING VIRAL

Sorte de graffiti artisanal, le concept graphique de Reflektor s'inspirerait des vèvès, signes cabalistiques désignant les esprits du vaudou (lwas). Voilà une autre initiative d'Arcade Fire à qui on prête un talent certain dans le marketing viral.

«Ça me fait rire, cette réputation de sorciers du marketing, dit Régine Chassagne. Je me souviens d'une de nos premières pubs virales; Richard et Win avaient tourné un sketch avec un personnage masqué pour la promo de l'album. C'était une blague, en fait, et on nous avait alors qualifiés de génies du marketing! Nous ne sommes pas des spécialistes du marketing, nous essayons simplement de trouver de nouvelles idées pour annoncer aux gens ce qu'on fait. Avec une touche spéciale.»

Jeremy Gara ajoute: «Nous sommes conscients qu'on a peu de temps pour vendre un album lorsqu'il est rendu public. C'est la réalité, il ne faut pas l'ignorer. Nous avons toujours des gens qui nous aident à mettre ça en branle, peaufiner notre mise en vente nous intéresse aussi. Notre machine n'est là que pour nous aider à faire accomplir ce que nous ressentons et avons envie de faire.»

BOWIE, LA TROISIÈME VOIX

David Bowie entretient des relations plus que cordiales avec Arcade Fire. De passage à New York, le chanteur britannique a rendu visite au groupe montréalais au mythique studio Electric Lady, où il procédait au mixage de l'album. On lui a demandé alors de poser sa voix sur la chanson-titre de l'album, ce qu'il a accepté volontiers. L'idée d'une troisième voix dans la chanson Reflektor trottait déjà dans la tête de ses concepteurs, le choriste haut de gamme ne pouvait mieux tomber. La présence de Bowie est d'ailleurs évoquée dans le clip de la chanson.