En commençant à écrire des chansons avec son petit-fils Émile il y a trois ans, Zachary Richard n'aurait jamais imaginé qu'au bout du processus naîtrait un album. Sur J'aime la vie, qui sera lancé mercredi, le chanteur cajun se fait ainsi le porte-voix respectueux d'un enfant de 13 ans au regard résolument optimiste.

«C'est la première fois que je ne suis pas à l'origine d'un projet. Que l'étincelle, l'inspiration ne vient pas de moi. Ce disque ne me tient pas plus à coeur que les autres parce que c'est mon travail, ma vie. Mais c'est vrai que c'est un cadeau.»

Émile n'est pas un enfant «ordinaire»: il souffre d'un handicap neuromoteur causé par un manque d'oxygène au moment de sa naissance. Si ses capacités intellectuelles ne sont pas affectées, sa motricité l'est. «Il a de la difficulté à transformer sa volonté en gestes», explique son grand-père.

C'est pour aider un être cher à trouver un peu de confiance que Zachary Richard s'est lancé dans ce projet incroyable. Et c'est très sérieusement que le grand-père et son petit-fils ont travaillé ensemble. «Même si Émile vit à Paris, nous étions très acharnés au travail, ça nous préoccupait, et nous étions en communication sur une base régulière. À un moment, je me suis rendu compte qu'on avait assez de bonnes chansons pour enregistrer.»

Un générateur d'idées

Pendant tout le processus, Zachary Richard s'est vu comme le secrétaire du petit garçon, qui a été un formidable générateur d'idées et de matière brute - de loin l'aspect le plus difficile de son métier d'auteur, assure-t-il. «J'ai attelé mon wagon à un petit mulet qui tirait la caravane. Souvent, on partait d'une idée. Il disait je veux parler de la mer, je lui disais: OK, il y a quoi dans la mer, il répondait: des poissons, des crustacés. Je continuais l'interrogatoire, puis je modelais tout ça pour que ça tienne dans un contexte de chanson populaire.»

Le résultat est peuplé d'animaux, de nature, d'images simples et de joie de vivre. «Tant mieux si on me traite de naïf, lance-t-il. Mon expression française est de toute façon comme cela, elle ressemble à des peintres primitifs. M'accuser d'être naïf, c'est un compliment.»

Pour tous

Malgré les apparences, J'aime la vie n'est pas un disque pour enfants. «Il est pour l'enfant qui habite en nous. Pour les 8 à 98 ans», dit Zachary Richard, qui a fini par se retrouver dans la vision du monde de son petit-fils. «C'est une vision que j'ai eue à un moment, mais je suis devenu trop sophistiqué, dans le mauvais sens du terme, pour avoir accès à un regard aussi simple.»

Pour s'accorder à cette simplicité, le compositeur a volontairement créé un disque dépouillé, sans fla-fla. «Il ne fallait que le strict minimum pour véhiculer la chose. C'est pour ça que j'ai demandé à Marc Beaulieu de le réaliser: moi, j'ai tendance à gaver mes chansons, à en mettre beaucoup. J'avais besoin d'un garde-fou.»

J'aime la vie est composé de joyeuses mélodies folk, cajun et country. Une des chansons, L'espoir est dans le coeur, est même une référence non déguisée à L'arbre est dans ses feuilles.

Zachary Richard réfléchit un peu et constate qu'en effet, le disque comporte peu d'accords mineurs. «Ce n'est pas juste parce que c'est un enfant, c'est aussi qu'il est très positif comme humain. Ce positivisme, il s'exprime plus facilement avec une musique avenante, plus légère.»

Et pour le chanteur, le fait que le jeune garçon soit handicapé ne compte pas tant que ça dans l'histoire. «C'est secondaire. En même temps, on ne peut pas faire abstraction de son expérience, de la dose de courage supplémentaire dont il a besoin pour faire face aux défis. Pour moi, Émile est un professeur de vie.»

Ce disque est donc un hommage à l'esprit qui habite son petit-fils. Zachary Richard compare d'ailleurs les chansons à des haïkus - lui-même en écrit depuis 40 ans -, qui expriment des vérités profondes en décrivant les choses les plus simples.

«Il y a quelque chose de très séduisant, par exemple, avec Mon cheval Napoléon. C'est une petite capsule de vie, il mange du foin, de l'avoine... Bon, ce n'est pas Nietzsche, c'est très premier degré, mais ça exprime quelque chose de très profond en même temps.»

Charnière

On le sent, il le dit, Zachary Richard est arrivé à un moment charnière où il a davantage envie d'aller vers les autres. D'abord, la présence d'Émile lui rappelle qu'il faut apprécier le cadeau de la vie - ce n'est pas parce que c'est cliché que c'est moins vrai, précise-t-il. «Et ce n'est pas toujours facile. Émile m'appelle «le chiant»! Bon, c'est un enfant, il fait des conneries parfois, mais ce regard sans bullshit, j'apprends beaucoup de ça.»

De plus, depuis son AVC en octobre 2010, l'homme s'est transformé. «Je vais bien mais c'est un combat de tous les jours. Il y a des hauts et des bas. Je l'ai échappé belle et je suis chanceux de pouvoir continuer à pratiquer mon métier. J'espère que ça m'a rendu plus généreux. Je suis quand même toujours égoïste, mais je travaille là-dessus!» On peut dire qu'il est sur la bonne voie.