Cela fait 15 ans qu'Hubert-Félix Thiéfaine n'est pas venu au Québec. Autant dire qu'en 15 ans, il s'en est passé des choses dans la vie du poète-chanteur jurassien. Après une grave dépression en 2008, il a rebondi et récolté deux Victoires de la musique en 2012, le propulsant dans le cénacle des grands de la chanson française. Des vendanges tardives, 34 ans après ses débuts. Il sera au Gesú mercredi soir.

Mélange hexagonal de folk, de rock et de poésie tendance Léo Ferré, Hubert-Félix Thiéfaine est de ces artistes français passé à travers les gouttes de la mode et du temps, drainant avec lui un public tissé serré amateur de textes évocateurs et de coups de gueule sans concessions.

Élevé au grec et au latin «chez les curés», puis victime de harcèlement à l'école publique, il s'est très tôt réfugié dans la musique et la poésie. Il a commencé à chanter à l'âge de 14 ans, imitant alors Johnny Halliday et son Kili Watch de 1961. À 30 ans, HFT, comme l'appellent ses fans, a sorti son premier opus, Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s'émouvoir.

Avec un tel titre, le ton était donné. Ses chansons ont d'ailleurs toujours eu ce parfum riche, étrange et dense venant de lectures de ses amis philosophes. «Pas facile d'avoir un ami qui a 2800 ans [Homère]!» aime-t-il dire.

Quinze albums plus tard, Suppléments de mensonge a connu un succès fou en France. Quelque 300 000 exemplaires vendus. «Assez exceptionnel par rapport à l'état général du disque depuis 10 ans», dit-il, au téléphone.

Il a beau n'avoir jamais été le chouchou des grands médias, HFT a toujours vendu beaucoup de disques. En 1988, par exemple, il arrivait en tête des ventes avec Cabrel, Renaud et Gainsbourg. «Je ne me suis jamais plaint de mon statut, dit-il, mais j'ai un public nombreux qui achète mes disques. Si je n'étais pas connu du grand public, c'était de leur faute!»

Du coup, deux consécrations sur le tard, le prix du milieu musical français (la SACEM) en 2011 et les Victoires de la musique - «Meilleur album» et «Meilleur artiste» - en 2012 l'ont surpris. «Pourquoi ce disque et pas un autre? se demande l'artiste qui aura 65 ans en juillet. Mais c'est agréable. Je continue de vivre comme avant, et ça m'a permis de faire 45 festivals l'été dernier!»

L'album Suppléments de mensonge comprend une grande variété de chansons, dont certaines ont été écrites pendant sa convalescence de 2008 et 2009. On y découvre un HFT plus apaisé, mais toujours avec la même écriture fouillée.

Il a fait appel à plusieurs compositeurs pour mettre ses textes en musique et ça donne de belles surprises, comme la ballade La ruelle des morts sur ses souvenirs d'enfance, le très rock Garbo XW Machine ou la chanson inspirée par un tableau d'Edward Hopper.

On retrouve ses références littéraires dans Trois poèmes pour Annabel Lee, inspirée d'Edgar Allan Poe, et son humour dans Ta vamp orchidoclaste (un néologisme formé de racines grecques pour dire «casse-couilles») et qui parle d'une femme qu'il a connue. «Et qui s'est reconnue», dit-il en riant.

Héritier de Léo Ferré par sa liberté de paroles, son indépendance et la richesse de ses textes, Hubert-Félix Thiéfaine chantera peut-être La mémoire et la mer en rappel mercredi, ainsi que l'hymne obligatoire de ses fans, La fille du coupeur de joints.

Cet arrêt à Montréal est l'avant-dernier de sa tournée Homo Plebis Ultimae, juste avant Londres. Ensuite, il retournera dans sa maison franc-comtoise pour écrire, se reposer, être bien. Seulement être bien, car le bonheur, ce n'est pas pour lui.

«Ça me rappelle une dissertation de philo sur le choix entre bonheur et liberté. J'avais choisi la liberté. Mais je n'ai jamais été aussi bien de ma vie. J'ai une vie saine. Et je suis toujours le même adolescent qui pose les mêmes problèmes par rapport à la vie.»

Hubert-Félix Thiéfaine en neuf dates

> 21 juillet 1948 : Naissance à Dole (Jura)

> 1961-1965 :Pension dans un collège catholique, premières chansons, premiers groupes

> 1973 : Premier spectacle, Comme un chien dans un cimetière

> 1978 : Premier album

> 1985 : Premier Zénith à Paris

> 1987 : Premier spectacle à Montréal

> 1988-2005 : Sortie de sept albums studio

> 2009-2009 : Hospitalisation et repos après une dépression

> 2012 : Deux Victoires de la musique