«Vers la fin de ma tournée en anglais, honnêtement, ça me manquait de chanter en français», raconte Luce Dufault. Elle remédie à la situation avec Du temps pour moi, disque en français où le folk apaisé flirte avec le country, un son qui découle entre autres de sa participation au musical folk Les filles de Caleb, dans lequel elle incarnait Émilie Bordeleau.

Q: Du temps pour moi est folk, mais aussi plus country. D'où vient ce désir?

R: On fait beaucoup de spectacles en duo et en trio, ce qui force à essayer autre chose que ce qu'on fait sur disque. Aussi, Jean [Garneau, son guitariste et réalisateur] s'est acheté un banjo, alors on amène cette nouvelle couleur. Les chansons suggèrent les directions aussi. Will James [où il est question de son grand-oncle aventurier Ernest «Will James» Dufault] est une chanson que j'ai depuis 15 ans et qui était très, très country au départ. [...] On l'a ramenée un peu plus folk, mais elle teinte aussi le reste de l'album.

Q: Est-ce le contexte qui incite à faire plus de ces spectacles à deux ou à trois?

R: La majeure partie des tournées se fait en formation réduite. Il y a 15 ans, on avait un band complet, un sonorisateur et un éclairagiste. Là, quand on part à trois, c'est beau. Sinon, on ne tourne pas. Ou très peu. Et ce n'est pas l'fun de monter un show et de ne le faire que cinq fois. C'est même une frustration immense. Là, on essaie de se monter un show à deux, Jean et moi, pour en faire encore plus, de plus petites salles. [...] On est rendu-là et c'est la réalité de beaucoup d'artistes. En même temps, c'est trippant de se retrouver dans une salle de 60 ou 100 personnes maximum sur le bord de l'eau en Gaspésie. Il y a moins de décorum et la connexion se fait tout de suite. Ce contact fait partie des raisons pour lesquelles on fait ce métier.

Q: Ta participation aux Filles de Caleb a-t-elle contribué à la direction de Du temps pour moi?

R: Avant Les filles de Caleb, je n'avais jamais chanté en me mettant dans la peau de quelqu'un d'autre. J'ai été complètement déstabilisée de me retrouver sur scène en moi-même, après, pour refaire le show en anglais. Je me sentais toute nue. Ç'a été un choc. [...] Alors, quand on a fait l'album, il m'a semblé plus facile d'essayer de nouveaux trucs. Les filles de Caleb a aussi donné l'envie de faire quelque chose de plus folk, de plus relaxe. Des fois, j'aurais même envie d'un disque guitare, voix, banjo. Ça semblerait peut-être un peu trop chenu, mais pourquoi pas?

Q: En quoi la chanteuse Etta James, qui prête son nom à une chanson, a-t-elle été un exemple libérateur pour toi?

R: Quand j'ai commencé à chanter dans les bars, on faisait plus du R&B: Chaka Khan, Aretha Franklin, James Brown, Otis Redding, etc. Ce n'était clairement pas dans mon registre... Quand j'ai entendu Etta James, c'est la première fois que j'ai compris qu'il y avait de la place pour des voix plus rondes. [...] Je me suis mise à chanter des standards de jazz, des chansons plus groundées qui me ressemblaient et qui étaient plus confortables pour ma voix. Elle m'a redonné confiance à une époque où je ne me sentais pas à ma place dans les bars.

Q: Que penses-tu du fait qu'on découvre désormais les interprètes non pas sur scène, mais à la télé, dans des concours comme La voix?

R: Si j'avais cet âge-là, j'irais sans doute moi aussi. Je regarde La voix, je trouve ça assez palpitant. [...] Ce qui me fait peur, c'est que ça devient gros vite. L'après m'inquiète... Des avenues pour se faire remarquer, il n'y en pas tant que ça. Il n'y a plus tellement de bars où chanter, il est difficile de tourner à la radio... Pour se faire une place, il faut faire quelque chose d'extraordinaire. Ça peut être ça.

Q: Qu'est-ce qui, malgré le contexte, te donne confiance en ton métier?

R: D'un album à l'autre, je me demande tout le temps si je vais me relancer ou si je vais me trouver une job. Je le fais parce que j'ai besoin d'être sur scène. En même temps, c'est toujours un risque: on est à notre compte, on paye pour produire un disque et on espère partir en tournée. [...] L'envie est plus forte. Jusqu'à maintenant, on ne l'a jamais regretté.

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ROCK

LUCE DUFFAULT. DU TEMPS POUR MOI.