Après les chansons sexyco-kitsch de son disque Sexuality, Sébastien Tellier lance au Québec l'album My God Is Blue pour lequel il invite ses fidèles à joindre l'Alliance Bleue. Est-il sérieux ou se moque-t-il de nous? Est-il dans son monde? Ou plutôt lucide? En entrevue téléphonique, La Presse a tenté d'aller au-delà du personnage. Il s'agit d'un artiste excentrique, certes, mais un homme pour qui l'art a un sens. Il raconte des histoires de chaman et de potion magique comme s'il n'y avait rien de plus normal. Voici de longs extraits de notre intéressante, divertissante et généreuse entrevue.

Sébastien Tellier est-il passé du vice à la spiritualité? A-t-il des péchés à se faire pardonner?

Je trouve que dans la vie moderne, la religion n'a plus aucune place, à part pour des mecs un peu fous. Les gens normaux, entre guillemets, ne devraient pas se désintéresser de la spiritualité. Croire en quelque chose qui n'existe peut-être pas, ça fait partie de l'équilibre d'un être humain. J'ai donc fait un album sur Dieu pour inviter les gens à conserver cette part de rêve et de foi qu'ils ont en eux.

Au-delà du désir de se renouveler, pourquoi ce besoin de créer des albums hautement conceptuels?

J'adore les gens comme Prince, Michael Jackson, Mick Jagger, Elton John et David Bowie. Si j'avais été petit et mince, j'aurais fait de la musique comme ça. Mais je suis un grand barbu qui ressemble à un bûcheron, donc je choisis des sujets qui vont avec ma personnalité afin qu'elle s'intègre dans mon oeuvre. Cela me demande pas mal de réflexion et élimine beaucoup de choses que je voudrais faire, mais qui ne m'iraient pas. Prenez la harpe, par exemple. Je ne peux pas sortir des disques de harpe, car les gens me diraient: «Mais qu'est-ce que tu fais?» J'essaie de me transformer en quelque chose qui séduit l'autre.

Une affaire de séduction, donc?

Quand on me demande c'est quoi la vie, je réponds: la séduction [...] Il n'y a plus de reproduction, donc la vie serait ennuyeuse si l'art n'était pas de la séduction. En plus, l'art me rend plus séduisant que je le suis dans la réalité de mon être.

Et pour en revenir à Dieu, pourquoi celui de Sébastien Tellier est-il bleu?

Je devais aller au Mexique avec mon envie de faire un album sur Dieu, mais c'est en arrêtant à Los Angeles que j'ai trouvé un chaman. Il m'a donné une potion magique concoctée spécialement pour moi. Quand je l'ai bue, j'ai eu des grands rêves bleus où j'étais très proche de Dieu [...] Je suis rentré à Paris avec ce long trip éveillé bleu dans ma tête, et j'étais fin prêt à passer au piano.

Sans être religieuse, la musique électro rétro-futuriste de My God Is Blue évoque une lumière spirituelle...

J'essaie de jouer avec les codes. Comme je fais de la musique naïve, je ne parle pas de mes sujets comme un spécialiste. Pour l'album sur Dieu, c'est comme un enfant qui entre dans une cathédrale [...] C'est ce que je retranscris musicalement. Ce n'est pas un essai sur la religion sans prise de position. C'est de l'art naïf.

Pourquoi avoir travaillé avec le réalisateur Mr. Flash?

Il a une façon de faire de la musique qui est à la fois puissante et douce [...] J'aurais pu faire un album de chants grégoriens, mais il n'y aurait eu aucun intérêt. Je voulais quelque chose de très moderne, voire futuriste. Comme d'imaginer les chants religieux du futur... en 3045, tiens.

Sébastien Tellier a-t-il un plan de carrière?

Quand j'avais 20 ans, je vivais dans un appartement qui était presque une poubelle et je passais mon temps à rêver, car j'étais pauvre et je n'avais accès à rien d'autre [...] Au lieu de perdre ces rêves, je les ai notés. Je rêve de faire un album sur le sexe. Je rêve de faire un album sur Dieu.Il me suffit de refeuilleter ce livre de rêves et je tiens tous mes sujets... Je pourrais faire de la musique pendant 125 ans sans aucun problème, car quand on est jeune, on rêve de tout. On rêve de palmiers, de réussite, de femmes... En repêchant dans ses rêves en permanence, c'est une manière de rester naïf. Essayer de ne pas comprendre plutôt que de comprendre [...] Artistiquement, je veux rester le mec que j'étais à 20 ans.

Dans cette perspective, c'était comment, représenter la France à Eurovision en 2008?

Il y a des gens qui ont pris cela au sérieux en disant: «Mais qu'est-ce qu'il fait là?»D'autres qui savaient que j'allais là forcément pour m'amuser... Quand on comprend ma musique, c'est un message de liberté. Je ne suis pas fermé... Par contre, on m'a proposé plein de fois d'écrire des chansons pour des actrices qui veulent chanter et j'ai toujours dit non, car je travaille avec des gens de qualité comme Tony Allen qui a inventé l'afro-beat ou encore Guy-Manuel de Daft Punk... Mais quand il s'agit de s'amuser, je suis ouvert à tout. Eurovision, c'était d'aller chanter ma chanson devant des millions de personnes et de passer une semaine à fumer des joints dans un palace.