Légende vivante et pionnier de la chanson québécoise, Claude Gauthier offre à 73 ans son 16e disque de chansons originales, 50 ans plus loin. Une oeuvre en forme de bilan, écrite par un éternel optimiste amoureux de la vie.

Il y a trois ans, Claude Gauthier a subi une importante opération au coeur. L'année «officielle» de ses 50 ans de carrière est donc passée inaperçue. Trois ans plus tard, il souligne son incroyable longévité artistique avec un disque tout en douceur, suite de petits poèmes légèrement enrobés qui parlent bien sûr du pays et de la langue maternelle, mais surtout d'amour, celui pour sa femme et les gens qui l'entourent.

«J'avais déjà commencé à écrire des chansons avant l'opération. Mais ce disque ne serait pas le même si ça n'était pas arrivé. J'ai épuré et j'ai enlevé tout ce qui ne correspondait pas à la couleur que je voulais lui donner.»

Cette couleur, c'est le «gris bleu nuit», empreinte de mélancolie devant le temps qui passe, mais surtout hommage senti à la vie. «Tous les matins, je suis content de me réveiller», dit l'auteur-compositeur-interprète qui a écrit une chanson - Où s'en vont mourir les oiseaux- où s'est réfugiée l'âme de son vieux compagnon de route Jean-Guy Moreau, mort le 1er mai, et qui ne peut s'empêcher de penser à tous ses amis disparus, de Pauline Julien à Claude Léveillée en passant par Serge Grenier. «C'est une page qui est lourde à tourner. Je ressens beaucoup de tristesse. Mais aussi, j'ai une autre journée à faire.»

Si Claude Gauthier se sent à l'heure des bilans, il vit l'instant présent, regarde doit devant et a peu de regrets. La scène, par exemple, c'est bien terminé pour lui, à part pour quelques apparitions ponctuelles. Juste avant son opération, il faisait pourtant partie de la tournée La boîte à chansons avec Jean-Guy Moreau, Pierre Calvé et Pierre Létourneau. «On devait faire 35 spectacles, on en a fait 135! Je me rends compte que je ne suis plus fait pour la vie de tournée. Un tour de chant de 20 chansons, c'est beaucoup. On a l'âge qu'on a, il arrive à un moment où il faut slacker», dit-il, paraphrasant Richard Desjardins.

Faiseur de chansons

Même chose pour le cinéma: s'il s'en ennuie, il estime ne plus avoir la mémoire pour tenir un premier rôle. «J'ai fait 23 films. J'ai été choyé par le cinéma», dit celui qu'on a vu entre autres chez Michel Brault, dans Les ordres et Entre la mer et l'eau douce. Mais s'il a aimé profondément être comédien, son métier premier reste celui de «faiseur de chansons», lui qui a commencé à en faire dans sa tête à l'âge de 12 ans, inspiré par Trenet et Félix, qu'il entendait à la radio.

«C'est ce que j'aime le plus au monde. C'est particulier, la chanson, c'est une petite chose qui peut dire grand. Ça peut faire réfléchir, danser, rire, pleurer...» Lui a «donné sa vie» à la chanson, et on sent la fierté du travail accompli sur ce nouveau disque, particulièrement dans la première pièce qui porte le titre du disque, 50 ans plus loin. «Je voulais une chanson maîtresse, qui allait être porteuse du reste.»

L'humilité d'un géant

Claude Gauthier parle donc d'amour et de tendresse en toute simplicité - son duo avec Marie-Élaine Thibert, Aimer simplement pour aimer, est d'une émouvante beauté-, et même de Noël, sur une mélancolique mélodie de Robert Charlebois, sorte de suite à Marie-Noëlle. Si sa guitare reste le squelette de chaque chanson, elles ont toutes un habillage sonore plus poussé. «Guitare-voix, je l'ai fait en masse dans ma vie. Je voulais habiller les chansons sans que ce soit lourd.»

Au-delà des arrangements, c'est la voix unique de Claude Gauthier qui domine ce disque, inaltérée malgré les années, la cigarette - il a arrêté de fumer il y a 10 ans- et l'opération. Une voix caressante qui a conservé toute sa profondeur et ses nuances: le chanteur a toujours du souffle et est conscient de sa chance. «Je suis un chanteur, alors il faut chanter. Ma voix est une richesse et j'ai voulu l'exploiter dans ce disque. J'ai écrit des mélodies pour lui rendre justice.»

Claude Gauthier, 50 ans et 300 chansons plus tard, a le bonheur simple et l'humilité d'un géant: toutes n'ont pas survécu au passage du temps, il l'admet. On ne peut pas écrire chaque année une chanson comme Le grand six pieds, qui s'inscrivent dans la mémoire d'un pays. «Il y a des chansons qui nous élèvent. Moi j'ai écrit Le plus beau voyage et ça m'a élevé d'un cran. Mais on ne peut pas côtoyer toujours cette atmosphère. Quand on réussit à entrer dans le coeur des gens, c'est magique. Lorsqu'ils me parlent de mes vieilles chansons et qu'ils les font vivre, c'est ça ma paye.»