Il a influencé Paul Piché. Accompagné Pauline Julien. Écrit pour Louise Forestier. Marqué la bohème des années 60 avec Mon vieux François, classique absolu du folk québécois. Et pourtant. Malgré son statut de «chanteur culte», Lawrence Lepage reste proprement méconnu. Son retour sur disque et sur scène, à l'âge vénérable de 81 ans, le sortira-t-il de l'oubli?

Il n'est jamais trop tard pour ressusciter. Parlez-en à Lawrence Lepage qui revient sur scène et sur disque à l'âge vénérable de 81 ans.

Pour cet auteur-compositeur-interprète, qui avait littéralement disparu de la circulation, ce comeback marque la fin d'un long exil au fond des bois. Son dernier album datait de 1976 et le précédent remontait à... 1964. Autant dire qu'on ne s'attendait pas à le voir débouler avec ce troisième opus (Le temps) au titre pour le moins parlant.

Joint chez lui à Rimouski, le vieil homme ne semble pas particulièrement énervé par ce qui lui arrive. Relax, il répond aux questions de façon oblique, en épiçant ses réponses d'extraits de contes et de poèmes de son cru. «Je n'étais pas retraité, explique-t-il entre deux envolées. Mais je ne pensais pas à faire un disque. Ça ne me manquait pas vraiment.»

À force de le cuisiner, on apprend que cette nouvelle galette n'aurait jamais vu le jour sans les efforts de son ami Serge Arsenault. C'est lui qui a pris contact avec Yves Lambert pour qu'il produise l'album sous l'étiquette de La Prûche libre.

L'ex-Bottine souriante a évalué la proposition en hésitant un peu. «C'était un projet très particulier, dit-il. Pas nécessairement commercial.» Puis il a pensé aux papis du Buena Vista Social Club et il a décidé de plonger, en mettant tous ses musiciens à contribution..

Sur disque, le résultat est étonnant. On a ici un vrai travail de mémoire, authentique et musicalement «à la coche». Lepage reprend quelques classiques (Mon vieux François, Monsieur Marcoux Labonté, Bayard) en plus d'une dizaine de nouvelles chansons, sous la direction du guitariste et réalisateur Olivier Rondeau.

Sur scène? On ne sait pas encore. Au moment où vous lirez ces lignes, Lawrence Lepage n'aura donné que deux concerts, avec Lambert et sa gang. Mais il doit se produire au Lion d'or mercredi, dans le cadre du Coup de coeur francophone. Ce sera son premier spectacle à Montréal depuis... depuis... Depuis quand donc, M. Lepage?

Le chanteur lui-même n'en sait rien. «Hé cibole....Ça devait être avec Louise Forestier... hmm... attendez que je me rappelle...»

Retour à la terre

Mais qui est donc Lawrence Lepage? Le web nous apprend qu'il a été découvert au début des années 60, aux côtés du folkloriste Jacques Labreque. Qu'il a accompagné Pauline Julien, Georges Dor et Tex Lecor. Qu'il a été musicien pour la télé (La boîte à surprise, Les Couche-Tard) et pour le théâtre. Et joué dans tout ce que la province comptait alors de cafés, brasseries et boîtes à chansons. «Un peu plus pis je montais jusqu'à Chicago» dit-il à la blague.

Au début des années 70, c'est la génération hippie qui le découvre. Ses chansons à la gloire des régions s'inscrivent parfaitement dans la mode du retour à la terre. Les Karrik remettent son (déjà) classique Mon vieux François au goût du jour. Paul Piché reprend Turlute de mon pays dans ses premiers spectacles. Louise Forestier chante ses chansons. Il est célébré par la bohème underground. On le compare à Gilles Vigneault. Gaston Miron et Gérald Godin viennent prendre des cafés chez lui.

Mais ce n'est pas suffisant pour lui donner le goût du glamour. À la fin des années 70, échaudé par quelques mésaventures contractuelles («je me suis fait organiser plusieurs fois», dit-il succintement) et une industrie du disque de moins en moins conviviale, Lawrence Lepage met fin à 20 ans de vie urbaine pour retourner vivre chez lui, à Saint-Valérien, dans le bout du Bic.

«C'est dur de sortir l'âme du gars du Bas-du-Fleuve quand il est à Montréal, résume-t-il. La ville, je trouvais ça trop vite, J'étais pas habitué à ouvrir la porte et à tomber sur le ciment.»

Loin de la ville, Lawrence Lepage reprend racine. Vivant presque en ermite (avec son épouse, tout de même...), il chasse et pêche, en plus d'élever des chèvres et des lapins. «Agriculteur est un bien grand mot» lance ce grand contemplatif. «Mais disons que j'aime la terre et que je suis un malade de la faune..»

La chanson est alors loin de ses priorités. S'il continue à écrire pendant toutes ces années, il ne pousse pas vraiment dans cette direction. Rien pour aider: un accident de scie mécanique, survenu dans les années 90, lui bousille les tendons d'une main. Après, Lawrence cessera complètement de jouer de la guitare, accentuant ainsi son silence.

Libérer le trésor

Yves Lambert espère que ce retour le remettra sur la carte. Malgré sa production minimale (33 chansons enregistrées en 60 ans de carrière), Lawrence Lepage mérite selon lui sa place au panthéon, pas trop loin de Gilles Vigneault et Raymond Lévesque.

«En me replongeant dans son oeuvre, je me suis aperçu qu'il avait une écriture extrêmement raffinée et identitaire. C'est une forme d'écriture de moins en moins fréquente dans la chanson québécoise. Il est de la trempe des grands. Et nous, c'est ce qu'on essaie de faire reconnaître.»

Pour l'instant, aucun concert n'est prévu après celui de Montréal. Mais l'an prochain, si la demande est là et que la santé le permet, Lawrence Lepage reprendra la route.

Ce serait la bonne occasion de rééditer ses deux premiers albums, réputés introuvables et jamais sortis en CD. Yves Lambert a fait un bout de chemin en rapatriant ses chansons, qui appartenaient légalement à la famille de Jacques Labrecque. Maintenant que c'est fait, que la Prûche libre les libère!

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FOLK

Lawrence Lepage. Le temps. La prûche libre. En concert mercredi au Lion d'or dans le cadre de Coup de coeur francophone.