Trompettiste, arrangeur, compositeur, leader, professeur à l'Université McGill, Joe Sullivan est parmi les jazzmen montréalais les plus respectés de sa communauté. Pourquoi ne jamais en avoir parlé dans nos pages?

Très bonne question à laquelle personne ne répondra... puisqu'il n'y a aucune réponse à fournir! «Si vous êtes occupé comme moi, c'est très compréhensible», réplique courtoisement le musicien lorsqu'on lui avoue l'avoir négligé au fil de ses décennies de pratique. L'heure est venue de se rattraper, donc, avec une raison supplémentaire: ce jeudi au Lion d'Or, le Joe Sullivan Big Band donnera le concert d'ouverture du treizième Off Jazz.

Originaire de Timmins, il est né de mère franco et de père anglo. Difficile de le cacher: le jazzman de 54 ans n'a pas perdu son accent franco-ontarien! Il a vécu cinq ans à Ottawa, étudié la trompette classique à l'École de musique de l'Université d'Ottawa... avant de prendre une autre direction. «Mon frère Peter, lui, a maintenu le cap: il est premier trombone du Pittsburgh Symphony Orchestra, il fut jadis premier trombone à l'OSM. Alors que pour moi, le coeur n'y était pas», raconte le musicien.

«Lorsque j'ai terminé mes études en musique classique, je suis allé étudier un an au Berklee School of Music (Boston), afin d'y suivre une formation accélérée en jazz. Après quoi je suis venu m'installer à Montréal. J'y ai passé deux années, je m'y suis fait des amis, j'y ai travaillé comme musicien à la pige - j'ai remplacé entre autres Charles Ellison dans le big band de Vic Vogel. J'ai alors réalisé que ceux qui exerçaient le métier de jazzman dans les meilleures conditions étaient enseignants. Le R&B et le top 40, ça ne m'intéressait pas beaucoup, je ne voulais faire que du jazz.

«C'est pourquoi  je suis retourné à Boston afin d'y faire une maîtrise au New England Conservatory - programme «jazz studies». J'ai eu la chance d'y étudier auprès de George Russell et Jimmy Giuffre qui m'ont beaucoup influencé. Parfois, je regrette de n'avoir pu développer davantage ma carrière de musicien mais j'estime finalement avoir pris la bonne décision: répéter dans de bonnes conditions, composer, arranger, mener des projets personnels, enregistrer des albums, enseigner et... être décemment rémunéré.»

À l'université, Joe Sullivan enseigne l'arrangement en plus d'être directeur du McGill Jazz Orchestra. Il y a déjà mené un nonette, y enseigne aussi la trompette et la composition.  Et dirige des ensembles non étudiants: notamment ce sextuor (Alec Walkington, Dave Laing, André Leroux, Jean Fréchette, André White) dont il a présenté le travail au dernier Festival international de jazz de Montréal, avec pour invité spécial le guitariste torontois Lorne Lofsky. De plus, il dirige son propre big band comme le font sporadiquement ses collègues Vic Vogel, Christine Jensen, Jean-Nicolas Trottier, Nicolas Caloia, Lorraine Desmarais ou encore Jennifer Bell (Altsys Jazz Orchestra). Le Joe Sullivan Big Band a enregistré trois albums dont le récent Northern Ontario Suite sous étiquette Effendi. Jeudi soir, annonce son leader, le répertoire de l'orchestre sera enrichi de trois pièces inédites.

Difficile de faire voguer un tel vaisseau? L'interviewé répond par la positive: «Le big band joue une couple de fois l'an, je dois aussi mener mes projets d'arrangements avec Kirk McDonald à Toronto. Et je dois m'occuper du big band de Mc Gill où je peux faire ma musique. J'avoue avoir envie de jouer plus souvent avec de petites formations.»

L'esthétique que préconise Joe Sullivan est intiment liée à la tradition jazzistique, il croit néanmoins que la branche choisie continue de s'allonger.

«Je me considère comme un musicien de jazz contemporain inscrit dans la tradition. Je m'intéresse à la continuation des Gil Evans, Thad Jones, Jim McNeely, Bob Brookmeyer, etc. J'essaie de trouver du nouveau à l'intérieur de ces formes connues, j'ose croire que mon vocabulaire harmonique est personnel. Mon vocabulaire mélodique, lui, vient de la musique contemporaine de tradition classique.

«Ainsi, j'ai pris cette décision: innover du côté mélodique/harmonique plutôt que de transformer les formes connues du jazz. J'ai décidé de ne pas les abandonner.»

Le Joe Sullivan Big Band  se produit au concert d'ouverture de L'Off Jazz. Ce jeudi, 20h, au Lion d'Or. Pour infos: www.lofffestivaldejazz.com