Avec une trentaine d'albums derrière la cravate, l'incontournable reggaeman Jimmy Cliff vit une renaissance professionnelle orchestrée par Tim Armstrong, chanteur et guitariste de Rancid. Relance comparable aux réalisations signées Jack White (Loretta Lynn, Wanda Jackson...), Jeff  Tweedy (Mavis Staples) ou Damon Albarn (Bobby Womack), la sortie récente de l'album Rebirth précède une tournée de Jimmy Cliff dont l'escale montréalaise sera le clou du Festival international reggae de Montréal - prévu du 17 au 19 août sur les Quais du Vieux-Port.

Ce que le chanteur s'applique à justifier lorsque joint en Suisse il y a quelques jours:

«J'ai intitulé cet album Rebirth parce je suis reparti du point zéro et que j'y ai construit un son neuf. Des rythmes, des styles qui me font aujourd'hui revivre. J'y vais de mes commentaires sur l'état du monde d'aujourd'hui. J'y aborde l'hypocrisie religieuse, le crime, la tyrannie politique, la violence, la faim, l'arrivée d'une nouvelle ère. À mon esprit, Rebirth est aussi la renaissance de la planète terre. »

Ah bon? Expliquez-nous, Jimmy Cliff. Le sexagénaire ne se fait pas prier:

«À tous les 2600 ans, vous savez, cette planète connaît une renaissance complète. Une nouvelle énergie, donc, une renaissance qui vaut également pour toute l'humanité. Les vieilles manières de faire, les vieilles lois, doivent disparaître pour une meilleure vie.»

Malgré ces prédictions un tantinet ésotériques, le chanteur affirme n'alimenter aucune croyance religieuse. Ni chrétienne, ni rastafarienne. D'aucune confession, le père Cliff.

«La religion crée la division, engendre la guerre, ne m'apparaît plus valable pour l'humanité. Ma spiritualité s'inscrit dans l'universel, je ne suis pas religieux pour autant. Je crois au contraire que les religions seront dépassées, obsolètes en cette nouvelle ère qui s'amorce. Vous savez, je suis suis né libre et je veux le rester. Je ne veux plus de mythes et de légendes.»

Plus de mythes? Sauf peut-être cette croyance fondée sur le renouveau des 2600 ans mais bon... parlons plutôt musique et de cette longue et fructueuse carrière de Jimmy Cliff, 64 ans, qui fut une star en Jamaïque dès l'adolescence. Déjà au début des années 60, il chantait Miss Jamaica, Pride and Passion ou King of Kings, hits nationaux de l'époque. Un demi-siècle plus tard?

«Tous les styles que j'ai traversés dans les années 60 et 70 se trouvent dans Rebirth, avec les instruments et les musiciens qui m'ont permis de faire revivre ces sons. Je crois donc que cet album est l'un de mes préférés, un des meilleurs de toute ma discographie. Bien sûr, le dernier album est généralement celui qu'on préfère mais celui-ci résume bien ma vie d'artiste.»

Quant à l'association de Jimmy Cliff avec Tim Armstrong, réputé chanteur du groupe américain Rancid, féru de reggae comme le sont tant de punk rockeurs, le principal intéressé croit qu'elle coule de source:

«Punk et reggae abordent les mêmes thématiques sociales, leur soudure va de soi. Ainsi, j'ai connu Tim dans l'entourage de feu Joe Strummer, dont j'ai enregistré Over the Border dans mon album Black Magic et dont j'ai aussi fait Guns of Brixton dans cet album. Lorsque j'ai rencontré Tim pour discuter de la réalisation mon album, j'ai tout de suite senti que c'était la bonne décision à prendre car il est un authentique connaisseur de reggae. Ma reprise de Rancid, Ruby Soho, était aussi indiquée en ce sens.»

En Jamaïque, qui célèbre cette année le 50e anniversaire de son indépendance, y a-t-il encore de l'intérêt pour le ska, le early reggae, le roots reggae, ces mélanges avec la soul et le gospel, enfin ce son essentiellement inspiré des années 60 et 70?

«Bien sûr, le dancehall est proéminent dans la musique populaire jamaïquaine. Alors? Excellente raison de défendre un album comme celui-ci afin d'en promouvoir les valeurs artistiques! Je suis sûr que les Jamaïquains sont heureux de les retrouver. Vous savez, affirmer que la nouvelle génération jamaïquaine ne s'y intéresse pas n'est pas un fait objectif: Tarrus Riley, Queen Ifrica, I-Octane récoltent aujourd'hui de beaux succès avec cette musique plus roots. Cette branche du reggae demeure importante dans l'île.»

Une île où Jimmy Cliff tire toujours son inspiration, s'empresse-t-il d'ajouter:

«J'y possède deux résidences, l'une est proche de Montego Bay (j'ai grandi dans cette région) et l'autre dans la périphérie de Kingston, une ville que j'aime toujours même si on y a observé de la violence par le passé... comme on a déjà observé dans d'autres grandes villes. Aujourd'hui, je dirais que c'est plutôt cool à Kingston. J'y ai d'ailleurs construit un studio au cours des dernières années. Studio associé à mon propre label, Sunpower Productions NY.»

Très en forme, Jimmy Cliff dit aimer voyager «plus que jamais» et se montre très heureux de revenir à Montréal. Que compte-t-il y présenter?

«Le contenu de mon nouvel album et mes classiques - Sitting in Limbo, etc.  Mon groupe est constitué de neuf musiciens jamaïquains et américains, avec section de vents. Ces musiciens peuvent jouer volontiers tous les styles que je fréquente.»

Inutile d'ajouter que  Jimmy Cliff compte bien poursuivre sur cette lancée et faire en sorte que ce son classique qu'il a mis au point soit préservé dans son foyer d'origine. Même si d'autres musiciens et chanteurs se l'approprient partout sur Terre. On lui cite les Africains Alpha Blondy, feu Lucky Dubé, Sierra Leone's Refugee All Stars et surtout Tiken Jah Fakoly, la réplique ne tarde pas à venir:

«Les Africains d'aujourd'hui ne copient pas notre reggae, pense notre interviewé. Pas plus que les Beatles et les Rolling Stones n'ont copié le rock et le blues de Chuck Berry, Muddy Waters ou Bo Diddley. La musique, c'est de l'oxygène que tout le monde peut respirer.»

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Dans le cadre du Festival international reggae de Montréal, Jimmy Cliff se produit aux Quais du Vieux-Port, le dimanche 19 août.

Trois suggestions pour le Festival international reggae de Montréal

1) Konshens : samedi 18 août, Quais du Vieux-Port

Le timbre de sa voix n'est pas sans rappeler celui de Vybz Kartel mais... depuis un an et demi, le plus populaire des chanteurs de type dancehall est actuellement en prison, en attente de procès pour meurtre.

Ainsi, Konshens occupe une place de plus en plus importante sur la scène dancehall. Issu de Sherlock Duhaney Park, ghetto notoire de Kingston, il est en train de devenir un artiste de réputation nationale et même internationale, bien au-delà des quartiers chauds. Il interprète notamment la chanson Jamaican Dance, associée au jeu Just Dance 3 d'Ubisoft. Avec plus de 30 millions d'exemplaires vendus dans le monde, Just Dance a généré un impact énorme, ce qui a motivé Ubisoft Music et Circle Road Records à tourner le clip de Jamaican Dance interprétée par Konshens. Déjà 135 000 visionnements sur YouTube, affirment ses promoteurs.

2) Pop Caan: samedi 18 août, Quais du Vieux-Port

Avant d'être inculpé pour ces crimes, Vybz Kartel multipliait les tubes et menait le clan de chanteurs Portmore Empire que la plupart des représentants auraient déserté depuis que le leader se serait mis à jouer les durs de durs. Avant que les affaires tournent au vinaigre, Pop Caan était le plus jeune protégé de Vybz Kartel. Aujourd'hui? Tenu à l'écart de l'empire des mauvais garçons? À Montréal, chose certaine, le chanteur sera accompagné par l'imposant Russ Kutt Band, comme ce sera le cas de tous les artistes au programme de la soirée dancehall prévue samedi - Konshens, Khago, Christopher Martin, Assassin, bref une brochette de choix qui s'est produite également au réputé Reggae Sumfest de Jamaïque en juillet dernier.

3) Tarrus Riley : dimanche 19 août, Quais du Vieux-Port

La popularité de Tarrus Riley est grandissante, car le chanteur régénère la lignée plus «classique» du reggae. Fier rastafarien, il est le fils de Jimmy Riley qui fut chanteur vedette à l'époque rocksteady - au sein des groupes The Techniques et The Uniques. Le trentenaire est né dans le Bronx mais a toujours fait la navette entre New York et Kingston. À l'extérieur de l'île, quatre albums résument ses nombreuses créations et interprétations sur les riddims locaux. Ses textes sont porteurs de conscience sociale, peu portés sur le plaisir immédiat (femmes, argent, party) et encore moins sur le gangstérisme. Tarrus Riley sera accompagné par le Black Soil Band, qui sera aussi derrière Romain Virgo, jeune chanteur ayant remporté récemment le Digicel Rising Star competition en Jamaïque.