On a tous un «mononcle», une «matante», une parenté exilée aux États-Unis pour y trouver un emploi, une autre vie. À partir de ce thème universel de l'émigration et de l'exil, Marie-Jo Thério a conçu un album très personnel, un objet fascinant, Chasing Lydie, lancé mardi dernier en vinyle (en CD mardi prochain). En cinq mots-clés, l'étonnante fille d'Acadie relate la quête de son arrière-grand-tante Lydia Lee, partie à Boston...

1. Tourne-disque

«L'idée du vinyle n'est pas de moi : elle est de Jim Corcoran. Je lui ai fait écouter l'album, et il m'a dit qu'il y avait une seule façon de présenter ce projet, et c'était par le vinyle d'abord. Pour l'écouter comme on écoute un film: de façon linéaire, avec attention. Avec un vinyle, il faut s'arrêter, mettre ou tourner le disque, poser l'aiguille sur le premier sillon, faire attention. C'est le contraire de ce qu'on vit, alors qu'on a toujours le pouvoir de pitonner pour passer à autre chose. Chasing Lydie en vinyle, c'est pour écouter un disque comme j'ai pu écouter un 78 tours avec la voix de mon arrière-grand-tante... Ce projet, ça fait 10 ans que j'y travaille. Ma mère me parle de ma parenté partie aux États-Unis depuis que je suis toute petite. De mon arrière-grand-tante Lydia Lee qui chantait et dansait, de cette espèce de fruit défendu qui vivait ailleurs, loin, autrement. Mon grand-père Franck est le seul des Leblanc émigrés qui est revenu en Acadie. J'avais besoin d'en savoir plus, même si, finalement, je ne suis pas plus éclairée que quand j'étais petite! Mais c'est devenu un double CD, présenté d'abord comme un double vinyle (offert en quantité limitée).»

2. Arthur Chapman

«J'ai trouvé le poème d'Arthur Chapman, Out Where The West Begins (publié en 1917), pendant mes recherches. C'est un poète américain, on le décrit même comme un «American cowboy poet». Son texte parle de l'Ouest poétique, je trouvais qu'il fallait que je le récite au début du disque, mêlé avec les voix de ma parenté américaine. Depuis 10 ans, c'est ce que je fais, chercher ceux qui sont partis vers un Ouest mythique, où tout serait plus grand, mieux, autrement. J'ai été à New York, à Boston, à Waltham (à 16 km de Boston) où mon arrière-grand-tante Lydia s'est installée avec ses frères et soeurs, à la fin des années 20. Finalement, ils ont pas mal tous travaillé à la Waltham Watch (entreprise de montres). J'ai trouvé des traces, des photos, des cassettes, un disque même où on entend la voix de Lydia. Quand j'ai rencontré ma parenté de Boston, je me suis rendu compte que Waltham Mass., ça ressemble pas mal au Moncton de mon enfance.  Je les ai interviewés et enregistrés. Mon cousin Bruce est de la même génération que moi: celle qui veut comprendre ce qui est arrivé. Pour la première génération, c'était trop dur, pour la deuxième, c'était tabou. L'album, c'est comme un frottement entre toutes ces archives et mes chansons. J'ai créé une Lydie imaginaire à partir de la vraie Lydia Lee... Quand j'ai terminé le disque, je suis allée leur faire écouter, à Waltham, et j'ai vu mon arrière-grand-oncle Désiré, 104 ans, le mari de Lydie, qui écoutait la voix de sa femme. Il ne savait pas que ce 78 tours existait...»

3. Souliers à claquettes

Mon arrière-grand-tante était artiste, c'était son métier. Elle était chanteuse, pas une chanteuse connue, elle chantait dans les bars, les clubs. Elle dansait aussi, comme tous les artistes à l'époque, mais c'était surtout son grand frère Eddy qui était danseur à claquettes, seulement il est mort très jeune. Évidemment, toute ma famille savait faire le step dancing puisqu'il venait du Nouveau-Brunswick! Mais pas le tap dancing, ils ont appris là-bas, comme ils ont appris l'anglais. J'ai imaginé des souliers, des souliers rouges, comme ceux de Dorothée (dans le film The Wizard of Oz), des souliers qui permettent de revenir à la maison, c'est pour ça qu'on entend de la danse à claquettes, parfois, sur le disque. Pour faire l'album, j'ai plongé dans une culture qui ne nous a pas été inculquée. J'ai composé une ouverture musicale à la Broadway, j'ai écrit des chansons à la manière de Judy Garland, des Andrew Sisters. C'est vrai qu'il y a un effet miroir dans ce disque, qu'il y a une lignée entre Lydie, ma mère Jany et moi. Il y a un petit trémolo dans ma voix, pas super «hip»: c'est le trémolo de Lydie, passé dans la voix de ma mère, puis dans la mienne...»

4. Boston

C'est un paradoxe de la psyché canadienne-française, de penser que ma famille, qui habitait dans un petit village de la résistance acadienne, Memramcook, est partie en pensant trouver le salut dans la ville de Boston (où ont été déportés une grande partie des Acadiens en 1755). Il y a juste ma vieille tante Ana, qu'on entend sur le disque dire «j'avais toutes sortes de fruits sur la ferme», qui parlait encore français, quand je l'ai rencontrée, en 2005. Elle est morte en 2006, à l'âge de 100 ans. C'est drôle de penser que mon grand-père est le seul qui soit revenu en Acadie, mais que ma mère est la seule à avoir quitté son village, Béliveau Village, pour aller à la ville. Mais la ville qu'elle a choisie, elle, c'était pas aux États: c'était Québec.»

5. Noix de coco...et neige

Le Coconut Grove, c'était un club célèbre à Boston. C'est pour ça que je parle de noix de coco, de canne à sucre aussi, comme on en parlait dans les chansons à l'époque. Il est aussi beaucoup question de la neige, du froid. Toute cette diaspora canadienne-française fuyait le froid, la faim, et se retrouvait dans des villes froides. L'album est en anglais, ça ne pouvait pas être autrement... Petite, ma mère m'emmenait manifester pour le fait français, on ne trouvait pas ça chouette, être bilingue. Mais c'était impossible de faire un disque sur le rêve américain autrement que comme ma famille l'a vécu. Dans le livret, il y a des photos, des extraits de lettres, des conversations, j'avais besoin de dire que tout ça émergeait de quelque chose de réel, de concret...  Quand je chante Don't Stop The Music Now, c'est vrai que j'ai une autre voix. C'est la chanson qui a remué le plus ma parenté de Waltham, ils disent que c'est très Lydia Lee...

Marie-Jo Thério

Chasing Lydie

Dare To Care

En CD à compter de mardi, en vinyle depuis le 1er mars.