Cinq chansons sur un mini-album et bang, c'est l'amour à la première écoute, le coup de foudre auditif pour les harmonies vocales, les cuivres mariachi, la facture un peu rétro: voici Armistice, titre d'album et nom du groupe composé de Béatrice Martin (Coeur de pirate) et de Jay Malinowski (du groupe rock canadien Bedouin Soundclash), couple dans la vie, duo sur disque. Le coeur devient un peu moins lourd quand on écoute Armistice...

En principe, nous devions rencontrer Béatrice Martin et Jay Malinowski ensemble pour parler de leur premier mini-album anglophone Armistice (en magasin mardi). Et puis, les circonstances, indépendantes de la volonté de tout le monde, en ont décidé autrement. Et c'est donc à l'une, puis à l'autre des deux parties que nous avons parlé de ce projet plutôt courageux, quand on y pense, en cette ère de cynisme et d'éphémère: chanter l'amour publiquement avec l'être aimé!

Dans le fond du café, Béatrice Martin lit discrètement un roman de Paul Auster en attendant la journaliste. Rien ne la distingue des autres consommateurs de caffe latte, même si elle a vendu plus de 300 000 exemplaires de son premier disque, qu'elle est en nomination pour un trophée Victoire de la meilleure interprète féminine en France (décerné le 1er mars prochain), qu'elle figure sur le nouveau disque du projet Nouvelle Vague...

Ni même si elle est en train de travailler à son prochain album solo, dont les chansons sont déjà toutes écrites. Rappelons que l'été passé, lors de son passage aux FrancoFolies de Montréal, elle avait interprété quatre de ses nouveaux morceaux, qui avaient fort bien passé l'épreuve du spectacle - particulièrement quand ce spectacle a lieu dehors, devant des milliers de personnes que la pluie battante ne rebute pas: ils sont restés jusqu'à la fin pour écouter une Béatrice souriante, éclatante, radieuse sous sa masse de cheveux mouillés!

Et Armistice dans tout ça? «C'est arrivé parce qu'on avait envie d'être ensemble, explique simplement Béatrice Martin. Disons que Jay et moi, on n'est pas des personnes qui se parlent facilement, finalement, et c'est en musique qu'on est le plus capables de dire ce qu'on ressent, dans le fond... J'en revenais pas quand il m'a dit qu'on devrait faire la photo de la pochette, tous les deux, devant un gros «joshua tree», en plein désert! Et finalement, ça témoigne vraiment de ce que l'enregistrement a été: j'étais vraiment l'étrangère, dans le Los Angeles hispanophone (dans le quartier Van Nuys), dans le désert, seule avec Jay, j'avais l'impression qu'on était dans un film... Et c'est un peu ça, une relation, comme un arbre qui pousse dans le désert», dit-elle en riant.

En tout cas, ça n'est jamais la facture plutôt reggae de Bedouin Soundclash, ni celle plus folk de Coeur de pirate qu'on entend sur Armistice - pas même sur la seule reprise, celle de Jeb Rand de Bedouin Soundclash. Sur des arrangements soul ou quasi-western spaghetti, les voix de Béatrice Martin et Jay Malinowski s'emmêlent ou se répondent dans ce mini-album très sensuel: «Béatrice m'a appris à apprécier Gainsbourg et Jane Birkin, explique Jay Malinowski par écrit, mais nous nous sommes surtout inspirés du duo Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, qui chantaient à une époque faste pour les duos (NDLR: les années 60, avec Sonny&Cher, Mickey and Sylvia, Tony Roman et Nanette, etc.). Nancy Sinatra et Lee Hazlewood avaient un côté un peu âpre. Justement, on ne voulait pas faire un album folk où tout était rose et souriant, mais quelque chose de plus cru et de plus réaliste. Illustrer l'album avec un désert avait du sens, en fin de compte!»

Pour les cuivres, mais aussi les violons lyriques, le ukulélé presque triste, le guitarron grave et sensuel, Jay et Béatrice ont fait appel aux musiciens du Mariachi El Bronx. Ils ont d'ailleurs enregistré leur mini-album dans le studio du groupe. «Ils étaient tous, et nous aussi, très inspirés par l'idée de réunir dans une pièce des gens et des styles aussi improbables, explique Jay. Et je pense que le Bronx a appris beaucoup du Québec, ça a été un vrai crash course pour ces gars de la Californie!»

«Je n'étais pas très sûre de moi pour écrire en anglais, dit Béatrice, mais on a fonctionné en se renvoyant les textes, l'un écrivant un refrain, l'autre un couplet...» «Mais elle a un anglais parfait, ce n'était pas un problème, rétorque Jay. C'était la première fois que j'établissais une collaboration aussi intense avec un autre auteur-compositeur, et c'est vrai qu'une perspective de femme est différente de celle d'un homme. Mais c'est ce qui rendait justement la chose aussi intéressante, puisque nous avons utilisé cette disparité comme point de tension et de conversation dans les chansons.» C'est à peu de choses près ce que dira, de son côté, Béatrice au fond du café...

Et même si elle a trouvé le processus un peu plus ardu que Jay - seule fille, seule francophone, âgée de moins de 25 ans, ça fait beaucoup -, Coeur de pirate abonde dans le sens que son chum quand il est question de s'exposer publiquement comme couple tant dans l'intimité que sur disque: «Ça fait partie de notre vie, être ensemble, et c'est toujours ma vie qui a inspiré mes chansons», dit-elle.

Jay seconde: «La musique est là pour parler de ce qui nous arrive. Le plus honnête tu es, la plus intègre est ta musique. C'est vrai qu'en regardant nos chansons, on peut avoir l'impression qu'on est un peu sombres, mais qui ne l'est pas? Ensemble (Béatrice et moi), on est surtout heureux.»