Il y a longtemps que Gilles Vigneault avait le goût d'un album de duos. Pourtant, quand on lui a proposé d'en faire un, il a hésité. Comment ne pas donner l'impression de suivre une mode, d'exploiter une recette? Vigneault a trouvé : voici donc Retrouvailles.

La formule de l'album de duos a la cote. Prenez des chansons connues, confiez-les à des duos et préparez-vous à entendre sonner le tiroir-caisse. «On espère en vendre, mais ce n'est pas le but premier», dit pourtant Gilles Vigneault de son album de duos, Retrouvailles, qui sera en magasin mardi prochain.

 

Vigneault adore chanter avec des collègues et amis: on l'a entendu sur Duos Dubois et le Bijoux de famille de Ferland, et il a également fait la paire avec Luc De Larochellière et Marjo. Il voulait faire son propre album de duos bien avant que cela ne devienne une mode, mais c'est justement pour ne pas donner l'impression de donner dans la recette qu'il a longuement hésité avant d'accepter la proposition du producteur Paul Dupont-Hébert.

«Un album de duos doit avoir une certaine pérennité, il doit être fait dans un sens d'intemporel, pas en fonction d'une mode», dit l'homme de 81 ans dans l'ancien restaurant de Saint-Placide qui lui sert de bureau et de local de répétition. «Je n'ai jamais fait une chanson en étant sûr qu'elle allait rapporter ou qu'elle allait passer à la radio. Et il ne m'est pas arrivé souvent qu'elle passe à la radio non plus», ajoute-t-il en riant.

La solution est venue de son directeur musical et grand complice Bruno Fecteau: «Bruno a trouvé une façon de faire qui donne l'impression que c'est une espèce de réunion d'amis où on me demande si je veux chanter de mes chansons avec eux, comme au coin du feu. Toutes les chansons sont faites dans l'ambiance de la personne qui y participe et, sauf pour ma fille Jessica, c'est toujours l'autre qui chante en premier, comme si c'était moi l'invité. Gros Pierre, t'as l'impression que c'est une chanson de Jean-Pierre (Ferland). Et c'est très bien.»

Vigneault dit vrai: Madame Adrienne est du Lynda Lemay à l'état pur, Quand vous mourrez de nos amours et Je ne dirai plus, chantées respectivement par le Français Guy Béart et le Belge Julos Beaucarne, font très vieille-chanson-française-avec-accordéon et Une branche à la fenêtre est, musicalement en tout cas, plus Aznavour qu'Aznavour lui-même!

Chacun sa chanson

La plupart des invités de Retrouvailles ont choisi leur chanson. Ferland a choisi Gros Pierre parce que Béart avait déjà retenu Quand vous mourrez de nos amours et Vigneault a demandé à sa fille Jessica de chanter J'ai mal à la terre plutôt que Les éléments que Catherine Major avait d'abord choisie avant d'opter pour La danse à Saint-Dilon. Il y a sur cet album des chansons de toutes les périodes de Vigneault, des classiques, mais aussi des beaucoup moins connues comme Je ne dirai plus que même Bruno Fecteau, qui connaît tout le répertoire de Vigneault, ne connaissait pas.

Certains jumelages s'imposaient: les amis Béart, Beaucarne, Anne Sylvestre et Michel Bühler, artiste suisse qui tournait déjà en Europe avec Vigneault à la fin des années 60. Même chose du côté québécois: Ferland, évidemment, l'amie de longue date Louise Forestier, les Charbonniers de l'enfer, Florent Vollant qui chante Jack Monoloy, et Richard Desjardins, poète et chanteur atypique qui fait avec son semblable Vigneault une Pendant que bouleversante de vérité.

D'autres sont plus étonnants (Loco Locass, Catherine Major) ou n'étaient même pas prévus au départ. Quand on lui a suggéré Aznavour, Vigneault s'est dit qu'il serait sans doute trop occupé: «Il n'avait pas le temps, mais il nous a dit qu'il a trouvé la chanson tellement bien écrite qu'il n'a pu refuser.»

La participation de Nana Mouskouri tient vraiment du hasard. Vigneault raconte: «Notre tourneur à Paris, Jean-Pierre Combret, nous a dit: 'Nana serait bien contente d'y participer'. Nana? Ben oui, Nana Mouskouri est sa belle-mère!» Vigneault lui a écrit un mot et la chanteuse, qui a fait sa dernière apparition publique en 2008, a tout de suite accepté de chanter Entre musique et poésie.

Nana Mouskouri a enregistré sa chanson en Grèce et Florent Vollant, à Maliotenam, mais Vigneault était en studio aux côtés de la plupart de ses invités, à Paris où à Montréal. «J'aurais dû être là tout le temps, par délicatesse plus que par nécessité, mais ce n'était pas toujours possible», dit-il. L'important, c'est qu'on ne puisse pas faire la distinction entre les communions virtuelles et les jumelages physiques. La plus belle preuve étant la chanson-chorale de la fin, Les gens de mon pays, sur le mode We Are the World, qui ne perd rien de sa qualité d'émotion, au contraire.

L'expérience a été tellement concluante que Vigneault veut faire un autre album de duos, qu'il pourrait commencer à enregistrer dès l'été. Il mentionne des chansons qui ne sont pas sur Retrouvailles (Si les bateaux, J'ai planté un chêne, La Manikoutai, Le temps qu'il fait sur mon pays, Il me reste un pays, Mon pays...) et lance les premiers noms qui lui viennent en tête: Claude Gauthier, Diane Dufresne, Marie-Claire Séguin et Richard Séguin, Piché, des jeunes comme Yann Perreau, des Européens aussi comme Nicole Croisille, Renaud... «Voilà un bel exemple! On rêve là, mais ça serait-y beau d'avoir Renaud qui chanterait «J'avais dix ans lorsque mon père nous a laissés»' (La ballade d'un sans-abri)? Ça serait magnifique.»