Très grande. Très rousse. Très belle. Très déterminée. Parmi les figures montréalaises les plus réputées sur la planète rock, Melissa Auf der Maur a été membre du groupe Hole, que Courtney Love tente de ranimer sans les participants de la grande époque. Après avoir tourné avec les Smashing Pumpkins en 2000, MAdM a entrepris une carrière solo qui l'a amenée à créer deux albums à titre de leader.

Par un doux jeudi de mars, elle a quitté le centre de l'État de New York où elle réside avec son amoureux, le cinéaste Tony Stone. Elle passe la journée à Montréal afin d'y faire la promotion de son nouvel opus. Out of Our Minds s'avère le plat principal d'un projet multidisciplinaire, assorti d'un court métrage, d'une bande dessinée et d'une plateforme interactive sur l'internet.

 

Bilingue, usant d'un accent charmant, MAdM a l'aura de ces artistes ayant parcouru le monde du rock à bord de ses plus puissants vaisseaux. Au-delà de la courtoisie et de la générosité qui l'animent, la femme de 38 ans exhale l'indépendance d'esprit de son défunt père (le coloré Nick Auf der Maur) et l'esprit entrepreneurial qui anime les personnes déterminées à réussir.

La musique est le tronc du projet Out of Our Minds. Le cinéma, la bande dessinée et l'internet en sont les branches.

«Dans le milieu du rock, souligne Auf der Maur, plusieurs croient qu'il faut choisir. Je n'en ai jamais été capable. Pour moi qui ai étudié la photographie, explorer simultanément le son et l'image va de soi.»

Le muscle cardiaque est au centre de l'imaginaire de ce projet, organe qu'elle a plongé dans un bouillon frémissant de surréalisme et de mythologie.

«Le coeur est aussi un prétexte symbolique qui te permet de voyager hors de ton esprit. La manière dont c'est sorti de mon inconscient a marqué ce projet. Le film et la bande dessinée ont aussi été traversés par cette idée très ancienne. Cette idée émerge de l'instinct des êtres humains, toujours en quête de la force vitale.»

Son premier album solo (sans titre) a été lancé en 2004, une longue tournée a suivi. Plus de 180 concerts ont permis à MAdM d'apprendre son métier de soliste et d'entreprendre un projet beaucoup plus ambitieux. Plus de trois ans de création ont précédé la sortie d'Out of Our Minds. Pourquoi une aussi longue gestation?

«Ma relation avec la maison de disques (Capitol) s'est terminée en cours de route. Lorsque la multinationale EMI a été vendue, une foule d'artistes ont été virés. Mon album était presque terminé, le film était en marche et la bande dessinée était à l'état de projet. Chez Capitol, on a dit non. Trop compliqué.»

Courte vue, pense toujours MAdM. «C'était en 2006, nous sommes en 2010 et il est plus qu'évident que les arts visuels vont de pair avec la musique rock dans l'environnement numérique! C'est d'ailleurs pourquoi la technologie a occupé une large part de mon projet. L'internet m'a permis de reconstruire ma relation avec mon public.»

Faire sa chance

Ainsi, Melissa Auf der Maur a fondé son entreprise et conclu des ententes avec de multiples partenaires. Pas facile de voler de ses propres ailes dans le contexte actuel...

«Financièrement, l'Europe me permet de souffler un peu. En Amérique? Pour les arts et la culture, ce continent est un désastre! Sauf le Québec, une bulle à part du reste. Le Canada? Pas avec le gouvernement Harper. Les institutions culturelles existent toujours dans ce pays, mais le cadre de référence est celui des États-Unis.

«Ce projet, renchérit-elle, n'aurait donc pu être réalisé sans quej'en prenne l'entière responsabilité. J'ai pris ce risque, car je n'aurais pas été une femme heureuse sans voir naître ce projet. Ainsi, j'ai dû apprendre sur le tard les différentes facettes du métier, car j'avais connu un succès très rapide dans ce monde, sans avoir à me préoccuper de son organisation économique.»

Trois ans de chantier, quatre disques durs, deux coréalisateurs (John Zadorozny et Chris Goss), des musiciens recrutés dans les grands clubs - NIN, Priestess, Helmet/Battles. Si elle estime être allée beaucoup plus loin qu'avec son premier album, MAdM ne prétend pas avoir réinventé la roue en créant Out of Our Minds. Elle dit néanmoins avoir puisé dans ses influences les plus cruciales: The Smiths, The Cure, Misfits, Kyuss, NIN, The Smashing Pumpkins.

Elle se montre particulièrement fière de la chanson Father's Grave, un duo entonné avec Glenn Danzig, fondateur des mythiques Misfits.

«Il est l'un de mes héros avec qui je rêvais de travailler. Ainsi, je lui ai écrit ce blues funéraire, conversation entre un fossoyeur et une femme en deuil de son père. Cette personne que j'admire s'est avérée une personne gentille et généreuse.»

Film, bande dessinée et plateforme interactive complètent le projet Out of Our Minds.

«Tony Stone a été pour moi un collaborateur très important. Il adore la musique et n'en joue pas, alors que je ne connaissais pas les tenants et aboutissants de la confection d'un film. Le court métrage a été tourné dans le sud du Vermont, au milieu de nulle part. Illustrée par Jack Forbes, la bande dessinée a suivi. Je suis très fière de ces projets. Ils ont leur vie propre, mais ils font partie d'un seul univers.»

Melissa Auf der Maur se produira le 24 juillet au parc Jean-Drapeau dans le cadre de Heavy Montréal.

ROCK

MELISSA AUF DER MAUR

OUT OF OUR MINDS

EMI

EN MAGASIN MARDI

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Différend patrimonial

Courtney Love, veuve controversée de Kurt Cobain, a semé la confusion en déclarant publiquement que Melissa Auf der Maur voulait repartir en tournée avec Hole nouvelle mouture. Ce que la bassiste et chanteuse a démenti formellement à La Presse. «Courtney a affirmé à tort que je voulais tourner de nouveau avec Hole. Ce que je n'ai pas dit, d'autant plus que je joue et chante actuellement avec mon propre groupe! J'avais plutôt déclaré être intéressée par le projet d'une rétrospective de cette musique à laquelle j'ai participé. Ayant vécu cinq années formidables au sein de ce groupe, je me sens très préoccupée par son patrimoine», soutient Melissa, qui a été la bassiste attitrée de Hole de 1994 à 1999. «Hole fait partie de l'histoire récente des femmes, renchérit la musicienne d'origine montréalaise. Dans toutes les sphères de la société, les femmes sont encore sous-représentées, c'est d'autant plus important de préserver ce patrimoine.» Melissa serait donc prête à collaborer à une «rétrospective intelligente» du groupe qui l'a rendue célèbre. «Si Courtney était prête à revoir ce que nous avons accompli, je m'engagerais à fond. Je le ferais pour toutes ces jeunes femmes qui n'ont pas encore découvert Hole. Il leur faut un document cohérent, car cet héritage ne va nulle part pour l'instant. Et Courtney ne semble visiblement pas intéressée...»