Son port spectaculaire, éminemment sexy, est celui d'une rock star. Au bout du fil, sa voix ensablée évoque celle des nuitards les plus trépidants. Et pourtant... On écoute la musique d'Ana Moura et on se trouve les pieds (et le reste) bien plantés dans sa tradition: le fado. Elle a toute une dégaine, cette chanteuse portugaise dont c'est le deuxième voyage au Canada, et le premier à Montréal.

Ana Moura vient de Santarem, localité située à une heure de Lisbonne. La chanteuse s'est installée dans la capitale il y a près de 14 ans... Adolescente, elle avait fait belle figure dans une de ces fameuses maisons du fado, Senhor do Vinho. Un producteur local, Jorge Fernando, l'avait alors prise sous son aile et réalisé ses albums, dont le tout nouveau Leva-Me Aos Fados, étiquette World Village, distribué au Canada. Depuis lors, elle s'est imposée parmi les figures montantes du fado dont elle est une interprète de premier plan.

 

Plusieurs musiques actuelles émergent désormais de Lisbonne, devenue une capitale moderne, aucunement traditionnaliste. Ana Moura n'en a pas moins choisi de devenir fadista, comme d'autres décident de devenir folkloristes ou musiciens classiques.

«Je m'accompagne des trois instruments originels du fado: la contrebasse, la guitare classique et la guitare portugaise (à douze cordes). Je préfère la contrebasse au violoncelle, que plusieurs artistes du fado utilisent désormais. Mes musiciens et moi, d'ailleurs, jouons ensemble depuis longtemps. J'aime conserver la sonorité traditionnelle du fado», explique Ana Moura.

Pour garder la flamme, elle estime essentiel de demeurer au pays du fado.

«Pour en conserver l'essence, il faut fréquenter les maisons et salles qui s'y consacrent, là où convergent les poètes, chanteurs et musiciens associés au fado.»

Bien que le genre soit né au cours du XIXe siècle et atteint sa forme classique depuis des lustres, Ana Moura préconise une interprétation qui lui est propre, de même que ses accompagnateurs.

«Nous pouvons proposer de nouvelles sonorités. Il s'agit d'un patrimoine vivant. Ainsi, je peux aussi choisir des textes plus contemporains, et j'encourage une approche différente de la part de mes musiciens sur le plan de l'interprétation. C'est ce qui confère à ma musique une certaine modernité. Nouvelles harmonies? Nouvelles manières de jouer? Oui. D'un point de vue rythmique, cependant, on doit conserver intacte la métrique du fado originel.»

Qu'est-ce qui doit rester, au juste? Qu'est-ce qui peut partir? Elle hésite.

«Questions difficile à répondre! J'y songe depuis longtemps. Vous savez, nous aimons faire des expériences avec d'autres musiciens, mais si nous changeons trop la sonorité spécifique du fado, on crée alors d'autres formes de musique.»

Ce qu'Ana Moura ne s'empêche pas de faire. Comme partager la scène avec les Rolling Stones en 2007 et y entonner No Expectations avec Mick Jagger, pour citer l'exemple le plus spectaculaire.

«J'ai été invitée à travailler avec eux dans le cadre d'un projet mené par Bobby Keys, le saxophoniste des Stones. Plusieurs chanteurs (dont Sheryl Crow) y ont repris à leur manière des classiques du groupe. Charlie Watts m'avait d'ailleurs accompagnée dans le cadre de cette session d'enregistrement. Il s'était montré très intéressé à de nouvelles sonorités qui émergent de par le monde, dont le fado... À mon tour, j'ai invité Tim Ries pour m'accompagner sur une de mes chansons. J'ai aussi déjà travaillé avec un guitariste flamenco, chanté des duos avec des interprètes gitans... Oui, j'aime m'ouvrir à d'autres genres, d'autres influences.»

Comment les puristes la voient-ils alors?

«Malgré ces digressions, ils croient encore que je suis traditionnelle. Oui, je trouve important de respecter la tradition de mes ancêtres, sans restreindre mes ambitions artistiques pour autant. Mes musiciens et moi sommes d'abord des artistes, nous devrions faire ce dont nous avons envie, nous sentir libre de tenter des expériences... pour ensuite revenir au fado.»

Ana Moura, à la salle Pierre-Mercure, ce soir, 20h.