Agnès Jaoui est une curieuse de nature: tout ce qui touche l'être humain la passionne, comme en témoignent ses films et ses scénarios. Depuis 2006, elle a poussé la curiosité plus loin et enregistré deux albums de chansons principalement en espagnol et en portugais, qu'elle vient présenter sur scène cette semaine à Montréal. Rencontre avec une femme qui a, profondément, le goût de connaître les autres.

Au bout du fil, on entend des enfants, le bruit d'un ordinateur qui reçoit des courriels, la télé, bref, on entend un petit peu de la vie très, très remplie d'Agnès Jaoui, dans sa maison de l'île Saint-Louis, à Paris. Ses deux enfants (7 et 9 ans), qui sont aussi ceux de son compagnon, le comédien Jean-Pierre Bacri, attendent que maman ait fini son appel. Ses enfants (adoptés, ils sont d'origine brésilienne) seront d'ailleurs du voyage à Montréal cette semaine puisque c'est congé scolaire. Ils l'accompagneront ensuite à Séville et dans quelques villes d'Espagne où Agnès Jaoui doit chanter.

 

Vous avez dit contraste météorologique? «Disons que nous allons avoir d'énormes valises complexes pour ce voyage», constate en riant celle qu'on connaît d'abord par ses films (Le goût des autres, Comme une image, Parlez-moi de la pluie...), ses scénarios (Un air de famille tourné par Cédric Klapisch et, pour Alain Renais, On connaît la chanson, Smoking/No smoking, etc.) ainsi que ses nombreux rôles de femme «cérébrale».

C'est Agnès Jaoui qui propose ce qualificatif de «cérébrale» pour qualifier le type de rôle qu'elle endosse à l'écran, quand on lui fait remarquer l'admirable paradoxe révélé par ses deux albums de chansons latino (Canta en 2006, couronné par un prix Victoire de la musique, et Dans mon pays en 2009). À l'écran, elle incarne souvent des femmes qui se méfient de leurs émotions, un brin renfrognées ou râleuses, alors qu'en chant, elle sourit et exprime pleinement la passion, la sensualité, la douleur... Car les chansons qu'elle choisit ou qu'elle écrit avec son excellent groupe de musiciens el Quintet oficial parlent avec passion d'exil, de souffrance, d'amour sans retour...

«C'est vrai que les rôles que je joue ne reposent généralement pas essentiellement sur la séduction, mais plutôt sur la méfiance, dit-elle. Mais justement, la musique m'a toujours fait rêver parce qu'elle pouvait donner une autre image de moi, et des femmes en général. J'aime des chanteuses comme Mercedes Sosa, Damia, Fréhel, Lola Flores, à la fois séductrices et mères, avec une rage qui rend leur voix encore plus belle. On est toutes multiples, n'est-ce pas?

«Cela étant, moi la première, je reconnais que cela m'étonne, ce goût pour les musiques tristes et douces, généralement en mode mineur et qui flirtent toujours avec la mélancolie. J'aime les chansons de Barbara, j'aime le fado, parce qu'étrangement, ça me met en joie, ce genre de chansons tristes, même quand je ne suis pas en forme! Je comprends tout à fait que, pour d'autres, ça leur plombe le moral. Mais moi, je trouve que c'est enveloppant et qu'en chantant la mélancolie, elle passe», précise-t-elle, se réjouissant d'apprendre que la chanteuse Misia, avec qui elle a notamment chanté en duo sur son disque Canta, sera aussi à Montréal (en tant que coprésidente d'honneur de Montréal en lumière). «On n'a plus le même manager, on se voit donc beaucoup moins, mais ça serait vraiment bien de se revoir à Montréal!»

En passant, sur scène, cette fois, Agnès Jaoui et ses musiciens ne seront pas cinq, comme le laisse entendre le nom de son groupe, mais bien sept.

Tristesse et sourire

Agnès Jaoui ne pratique pas la langue de bois, et c'est assez réjouissant à entendre: «Je n'aime pas le lourd sur le lourd, par exemple, dans le flamenco, où il y a un sérieux qui me lasse un peu. En fait, dès qu'on est à la messe et qu'il faut être sérieux, je m'ennuie. Or, quand j'écris des chansons, j'ai tendance à être hyper lourde, alambiquée, un truc pas possible. C'est pour cela que sur mon deuxième album, j'ai écrit deux chansons soit en m'inspirant d'un poète (la chanson Dans mon pays, dédiée à René Char), soit sur le mode un peu drôle (le très joli duo très Brassens Sur le pont de l'Alma mià). Et en spectacle, j'ai aussi envie de faire rire, alors je parle entre les chansons, j'explique, je raconte...»

Ce parti pris pour le sourire, on l'entend aussi sur ce deuxième album, enregistré avec le Quintet oficial en espagnol, portugais et français: ses enfants chantent à la fin de Cuando me faltas tù, la chanteuse se trompe dans son texte et s'exclame dans le duo Amor e distancia, ses musiciens rigolent dans Nuestro secreto, Jaoui commente la dernière (et magnifique) chanson Todo cambia («C'est très joli, mais c'est très, très triste»)... En outre, l'album recourt souvent aux duos, soit avec l'un ou l'autre de ses guitaristes doués (Roberto Gonzales Hurtado, Dimas Md et Antoine «Tato» Garcia), soit avec des invités (le chanteur angolais Bonga sur la très belle chanson Dikanga, et le chanteur de fado portugais Camané).

«Quand on m'a donné le mixage de l'album, je trouvais qu'il manquait quelque chose. Or, j'adore les ambiances de travail, je trouve que c'est à la fois amusant et émouvant, alors j'en ai intégré de petits instants.» Et ça donne, eh oui, un album à la fois souriant et triste, mélancolique et enveloppant... Bref, ça donne le goût d'Agnès Jaoui.

Agnès Jaoui y el Quintet oficial en spectacle du 25 au 27 février, à la Cinquième salle de la Place des Arts.

AGNÈS JAOUI Y EL QUINTET OFICIAL

DANS MON PAYS

TÔT OU TARD/WARNER

Actuellement en importation au Québec, offert en version canadienne (et à meilleur prix) en avril.