Quoi? Metallica offrent eux-mêmes de nous parler? Sa carrière, le groupe l'a plus lancée malgré les médias que grâce à eux. Et il n'en a pas besoin aujourd'hui - les 40 000 billets de ses deux concerts au Centre Bell se sont littéralement envolés. Alors pourquoi se plier à l'exercice?

«Ça faisait cinq ans depuis notre dernier passage ici, on était dû», répond Lars Ulrich, le regard caché derrière ses lunettes fumées opaques.

Il est samedi soir, 18h20. Nous sommes dans un couloir transformé en salle d'interview pour fuir la loge inutilement climatisée. 

Le batteur se balance dans son fauteuil, souriant les bras croisés à côté de sa boisson sportive. Dans moins de trois heures, il offrira un concert survolté comme on en a vu très peu au Centre Bell. Metallica remplit ainsi stades et arénas depuis quelques mois pour la tournée de Death Magnetic, ce retour inespéré au trash progressif  des années 80.

«Tout a commencé durant notre tournée européenne en 2006, raconte-t-il d'un ton chantant. Pendant trois semaines, on célébrait le 20e de Master of Puppets en le jouant en intégrale. Ça nous a rappelés ce qu'on faisait de bien à l'époque, et on a poursuivi à partir de là en studio avec Rick Rubin.» 

Le résultat est noir, furieux, même volcanique. Les textes parlent de lumières qui s'éteignent sur l'existence, pour un soir ou pour de bon. Même si Hetfield, Hammett et Ulrich sont dans la quarantaine, ils semblent encore puiser leur créativité dans le même abîme intérieur. Mais on spécule ici. Car cette question, Ulrich préfère ne pas se la poser. «Qu'est ce qui inspire nos compositions? Je ne sais pas», répond-il l'air amusé. Il se cale à nouveau dans le fauteuil avant de poursuivre.

«Tu sais, il n'y a pas de grande épiphanie en studio. On est seulement quatre gars qui prennent leurs instruments et s'éclatent.»

L'ascenseur s'ouvre alors devant nous, dévoilant une placière  aux jambes sans fin. «Hey, salut, comment va ta journée!», lui lance-t-il tout sourire juste avant que les portes ne se referment.

Le marathon de la vie de tournée lui plaît-il encore? «On s'amuse, mais différemment, avoue-t-il. Avant, c'était les bars de danseuses et tout cela. Maintenant, on reste plus tranquille. Quand ma famille ne m'accompagne pas, je passe beaucoup de temps seul. Je mange seul, je lis seul et je vais au cinéma seul - à Chicago, j'ai vu cinq films en deux jours. La solitude est une chose très sous estimée.»

La musique comme un sport

«One down, two to go. Rock n' roll!», scande Ulrich juste avant notre interview, son avant-dernière. Il devait par après retourner dans sa loge pour choisir les chansons de la soirée - «faut pas jouer les mêmes qu'hier ou qu'au dernier concert à Montréal en 2004, lance-t-il. Ce serait d'un ennui mortel.»

À son horaire ensuite: 15-20 minutes de jogging dehors ou dans le stationnement, un repas riche en protéines puis 20 minutes d'étirements avant de rejoindre ses trois comparses. Tout juste avant monter sur scène, ils se réchauffent en répétant en coulisses la première chanson de la soirée.

Pour Ulrich, la musique est autant un art qu'un sport. «Je pense que c'est parce que je viens d'une famille très athlétique», explique le fils d'un tennisman professionnel.  

Mais il n'y avait pas que le tennis chez les Ulrich. Jazzman accompli, le paternel recevait chez lui les vedettes de la note bleue en passage à Copenhague. Dexter Gordon est même le parrain de Lars.

Le mélomane est plus curieux que le musicien. «Je trimballe mon iPod partout. J'écoute vraiment de tout - récemment, autant les derniers Arctic Monkeys et Alice in Chains que des enregistrements obscurs de concert de Coltrane et Babylon by Bus de Bob Marley.»

A-t-il déjà été tenté d'explorer d'autres genres dans des projets parallèles? «Non, répond-il sans hésitation. Metallica et James Hetfield remplissent tous mes besoins musicaux. Écoute, si Noel Gallagher me demande de jouer sur son disque solo, j'y penserais, mais personnellement, je n'ai pas tant d'inspirations musicales que cela. Si je me lance dans un autre projet, ce serait plutôt du cinéma ou une autre forme d'art.»

Depuis quelques années, Ulrich collectionne les oeuvres d'art. Sa collection a déjà compté des Dubuffet et des Basquiat, dont le célèbre Profit I. Il en parle simplement, comme s'il détaillait son dernier achat de cure-dents. «Depuis quelques années, j'achète  beaucoup de mobilier design, poursuit-il. Je possède une pièce très unique d'Arne Jacobsen, cet iconique designer danois.  C'est un prototype de son fauteuil l'oeuf, mais en sofa trois places.»

Silence de quelques secondes. Il craint maintenant laisser l'impression d'une vedette un peu déconnectée. Mais cela paraît aussi l'amuser. «Ben, elle est pas mal, tu sais.»