Auteur-compositeur-interprète de grand talent, beau bonhomme du country-rock californien, militant qui dénonce les politiques de son pays et l'apathie de ses compatriotes, Jackson Browne est tout cela et plus encore. Conversation avec un artiste majeur qui chantera à Montréal pour la première fois de sa carrière, ce soir.

Dans son plus récent album, Jackson Browne chante l'amour libre des années 60 tout autant que les relations hommes-femmes actuelles. «We were not really dating/We were relating», chante-t-il dans la jolie chanson country-rock Just Say Yeah.

 

Mais ce qui frappe dès la première écoute de Time the Conqueror, ce sont les chansons à forte teneur politique: The Drums of War et Where Were You, qui dénonce l'apathie de ses compatriotes face à la politique à partir de l'exemple de l'ouragan Katrina, ou Going Down To Cuba qui, aussi ensoleillée et souriante soit-elle, souligne le ridicule de l'embargo que les États-Unis imposent à Cuba.

Au bout du fil, l'auteur de Take It Easy qui a lancé les Eagles, du classique rock Running On Empty et de cette Rosie que lui a empruntée Francis Cabrel, reconnaît d'emblée que la chanson politique est un art difficile, souvent trop didactique, qu'il n'a pas toujours bien maîtrisé. Mais il considère que dans Time the Conqueror, les chansons politiques font plutôt bon ménage avec les chansons d'amour.

«La chanson politique est un terrain glissant parce que tout le monde en connaît le sujet, dit-il. Le risque de faire la leçon aux gens est très élevé, et personne n'aime se faire sermonner. Mais ça vaut vraiment la peine d'essayer, de se tenir debout et d'élever la voix pour dénoncer la guerre tout en sachant que certaines personnes ont un autre rapport à la guerre et qu'elles ne tirent pas les mêmes conclusions que toi.»

Jackson Browne n'est pas devenu un artiste engagé avant-hier. La seule fois que je l'ai vu chanter - parce qu'il n'est jamais passé par Montréal - c'était devant un million de spectateurs à Central Park après une manifestation contre l'armement nucléaire dans les rues de New York, en juin 1982. Une vaste coalition d'artistes et de personnalités était de la partie, d'Orson Welles à la veuve de Martin Luther King en passant par Linda Ronstadt et James Taylor. C'est justement pendant les années 80, et les deux mandats de Ronald Reagan, que Jackson Browne s'est lancé dans la chanson politique avec les albums Lives in the Balance et World in Motion. Vingt ans plus tard, Time the Conqueror est probablement le plus dénonciateur de tous ses disques.

«J'ai mis du temps à écrire Drums of War qui parle de toutes les guerres, mais aussi de la façon dont on dupe les gens pour les convaincre que c'est leur devoir d'aller se battre, explique-t-il. Des affirmations erronées comme les Irakiens sont impliqués dans le 11 septembre ou le monde entier est pris en otage par l'Irak et ses armes de destruction massive. Mais on n'a jamais dit que c'est nous qui les possédions, ces armes de destruction massive. Incroyable!»

Deux mois après la sortie de Time the Conqueror, Barack Obama a été élu. Jackson Browne se réjouit d'avoir pu chanter avant l'élection ces chansons qu'il trouve toujours pertinentes: «Quand je chante «Do you you feel it today/Love is still on its way» (dans Off Of Wonderland), je parle des gens qui ont travaillé pour faire élire Barack Obama et dont nous avons encore besoin. Nous sommes encore en guerre; Obama a commencé à retirer les troupes d'Irak, mais il les envoie en Afghanistan. Son élection n'était pas un coup de baguette magique, mais un pas dans la bonne direction attendu depuis longtemps.»

Le tombeur

Quand Jackson Browne a été intronisé au Rock and Roll Hall of Fame en 2004, Bruce Springsteen l'a décrit comme un symbole sexuel du rock and roll, celui qui attirait toutes les belles filles à ses concerts pendant que le Boss et son E Street Band devaient se contenter des gars. «Et pas les beaux gars!» rappelle Browne en pouffant de rire.

Il est vrai que les amours et la rupture de ce beau bonhomme avec l'actrice Daryl Hannah ont fait les manchettes à la fin des années 80 et que, 20 ans plus tôt, il avait eu une liaison avec Nico, la blonde égérie du Velvet Underground dont il me rappelle qu'elle a fait de la musique merveilleuse pendant des années avant de mourir en 1988. Jackson Browne serait-il un tombeur qui s'ignore?

«C'était très drôle de dire que je suis un sexe-symbole parce que c'est vraiment la dernière chose que j'ai voulue, dit-il. J'ai fait l'impossible pour ne pas projeter l'image du beau garçon, j'ai même refusé de mettre ma photo sur plusieurs de mes albums. Quand j'avais 17 ou 18 ans, à Hollywood, j'ai connu des groupes qui jouaient cette carte-là, comme Paul Revere and the Raiders. Mon agent connaissait la directrice du magazine pour adolescentes Tiger Beat, mais quand tu veux qu'on prenne tes chansons au sérieux, tu ne peux pas te permettre ça.»

On dit souvent qu'avant de décrocher un contrat d'enregistrement, Jackson Browne s'est fait connaître en écrivant des chansons pour Linda Ronstadt et le groupe The Byrds. «En fait, j'écrivais des chansons pour moi, mais comme je ne faisais pas de disque, d'autres les ont chantées, corrige-t-il. Il fallait bien que je gagne ma vie, mais j'ai écrit très peu de chansons pour d'autres.»

N'empêche, c'est à lui que les Eagles doivent le tube qui les a lancés: Take It Easy. Browne raconte: «Glenn Frey - guitariste et chanteur des Eagles - et moi étions de bons amis et, un jour, je lui ai joué le début d'une chanson que je n'avais pas terminée. Fais-moi signe quand tu l'auras terminée, nous pourrions l'enregistrer, m'a-t-il dit. Il m'a relancé à plusieurs reprises et m'a finalement proposé de la terminer lui-même. Il voulait cette chanson, il voyait où elle s'en allait. Bien sûr, elle a été transformée parce qu'elle a été jouée par ce groupe fantastique. Take It Easy a été un succès sur mon album et sur celui des Eagles. La différence, c'est que les Eagles ont eu trois gros succès sur leur premier album et une quantité d'autres par la suite.»

Un album novateur

D'autres chansons de Jackson Browne ont tourné à la radio (Doctor My Eyes, Jamaica Say You Will, The Pretender), mais c'est l'album Running On Empty qui l'a véritablement consacré en 1977: la chanson-titre et Rosie bien sûr, mais aussi The Load-Out qu'il a eu la bonne idée de greffer à Stay, le vieux succès rhythm and blues de Maurice Williams & the Zodiacs.

Le succès de Running On Empty a surpris Jackson Browne, d'autant que cet album a pris forme presque par accident. Au départ, ça devait être un album double de ses chansons les plus connues enregistrées en spectacle, mais ce sont les nouvelles qui l'intéressaient vraiment. «J'étais en train de les écouter quand mon batteur Russel Kunkel m'a dit: «Pourquoi tu ne sors pas juste tes nouvelles chansons enregistrées live?» Pourquoi pas, en effet? On avait enregistré tous nos spectacles, ce que personne ne faisait à l'époque parce que c'était trop dispendieux, et Running On Empty racontait une facette de notre vie de musiciens qu'on ne retrouve à peu près jamais sur disque: la tournée.»

Cette vie n'a jamais cessé d'être celle de Jackson Browne, même si son autocar n'est jamais passé par Montréal. Ce soir, il sera accompagné de quatre musiciens qui lui sont fidèles depuis longtemps et de deux chanteuses d'une chorale gospel qui a enregistré ses chansons.

«C'est un très bon band, commente-t-il. Et on va jouer des chansons de toutes les époques de ma carrière.»

Enfin!

Jackson Browne, salle Wilfrid-Pelletier, 19h30.

 

EN UN MOT

Un grand de la chanson américaine qu'on n'a jamais vu à Montréal.

ALBUM ESSENTIEL

Running On Empty, Elektra/ Asylum/ Warner.