Comme quelques autres légendes du reggae, Bob Marley et Lee Perry pour ne nommer qu'eux, Sugar Minott a connu sa première vraie chance dans le métier comme simple employé au légendaire Studio One de Sir Clement "Coxsone" Dodd. Mais même son patron ne se doutait pas que le deejay et chanteur allait révolutionner la pop jamaïcaine et, du même coup, sauver le studio d'une lente agonie.

"Il y a une chose que je dois dire à propos des jeunes (en Jamaïque): ils ne montrent pas assez de respect pour les pionniers, les vieux comme moi", déplore Sugar Minott, rencontré dans un restaurant jamaïcain du centre-ville de Montréal. "Les ordinateurs pour faire de la musique, des outils accessibles à tous qui permettent à de nouvelles idées de jaillir, je suis cool avec ça. Il faut s'ouvrir à l'innovation, et moi, je fais de cette nouvelle musique la mienne. Il ne sert à rien de ressasser le passé, mais on mérite le respect."

Il faudrait bien qu'ils reconnaissent que sans Sugar Minott, en concert le dimanche 28 juin, les jeunes stars du dancehall ne seraient pas grand-chose. Le dancehall comme genre musical, c'est lui qui l'a inventé.

La carrière de Lincoln Barrington Minott a débuté à la toute fin des années 60, dans une indifférence plutôt certaine, au sein du groupe The African Brothers. Le chanteur a plus tard rejoint le Studio One au milieu des années 70, au moment où le reggae devenait un phénomène planétaire.

Un phénomène qui, par ailleurs, faisait mal aux grands studios qui ont érigé dans les années 60 l'industrie de la musique locale. Alors que les groupes reggae gagnaient des fans à l'extérieur de la Jamaïque, de nouveaux studios et de nouveaux labels relayaient ces talents. Studio One et Treasure Isle, piliers du ska et du rocksteady, avaient été semés derrière les jeunes. Pire: certains, tel Channel One, s'appropriaient les rythmiques classiques de ces studios pour obtenir de nouveaux succès!

Néanmoins, Sugar Minott, qui travaillait aussi comme selector (DJ, sélectionneur de disques) pour un sound system, jouait encore fréquemment les rythmiques classiques de Studio One. "Et, comme tout le monde le faisait, nous chantions par-dessus ces instrumentaux, des versions inédites, pour le public qui dansait. Or, j'ai eu cette idée, qui n'avait jamais été faite auparavant: enregistrer un disque de nouvelles chansons, sur les enregistrements originaux de ces riddims classiques. Coxsone a aimé l'idée, on a choisi les riddims ensemble."

Ce qui a donné à Sugar Minott son premier album complet pour Studio One, Live Loving, paru en 1978. Le premier album dancehall - un deejay et chanteur qui reproduit sur disque l'esprit des fêtes locales, avec des rimes et des mélodies inédites sur des chansons connues et appréciées. Toute la notion du recyclage musical, tellement importante dans l'histoire de la pop jamaïcaine, venait de voir le jour...

La pop jamaïcaine dans l'ère moderne

"J'ai ressuscité Studio One!" dit-il, toujours avec fierté. Avec les premiers classiques de l'histoire du dancehall, Hang on Natty, Change Your Ways, Jah Almighty ou Vanity, "sur le riddim de I'm Just a Guy d'Alton Ellis, une de mes rythmiques préférées" qui ont fait entrer la pop jamaïcaine dans l'ère moderne.

Le succès fulgurant de Sugar Minott avec Studio One fut de courte durée: l'année suivante, en 1979, il fondait sa propre étiquette, après avoir remis Studio One sur les rails, poursuivant dans les années 80 une carrière riche en succès. Peu après, les rythmiques construites à l'aide de synthétiseurs et boîtes à rythmes allaient à nouveau bouleverser la pop jamaïcaine...

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Vendredi 26 juin

Une tranche de l'histoire de la musique populaire jamaïcaine se réincarnera à Montréal grâce au Stur-Gav Hi Fi Sound System, opéré par le deejay pionnier U-Roy, dit The Originator - c'est lui le grand-père de tous les rappeurs! Actif depuis les années 60, U-Roy a connu une véritable renaissance dans les années 80 grâce à la popularité des événements organisés sous la bannière Stur-Gav. L'Originator débarquera au festival accompagné des deejays Charlie Chaplin, Brigadier Jerry et Josey Wales - trois des meilleurs vocalistes de leur époque!

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Samedi 27 juin

Celui qu'on surnomme le Prophète n'a rien perdu de son légendaire charisme. Le disciple rasta a amorcé sa carrière dans les années 80, en pleine tempête dancehall, laissant déjà une forte impression sur cette scène, impression qui ne s'est jamais estompée jusqu'à aujourd'hui. Le vétéran partagera la scène avec Anthony B, chanteur roots, et une poignée d'artistes locaux, dont Face-T de Kulcha Connection et collaborateur de Ghislain Poirier.

Hommage à Alton Ellis

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Solide journée de clôture du festival, offerte à la mémoire d'Alton Ellis, le "godfather of rocksteady" mort l'automne dernier. En plus de Sugar Minott, les festivaliers profiteront des performances du chanteur roots Sanchez, qui a remis le lovers rock au goût du jour, et de Ky-Mani Marley, de la célèbre dynastie du reggae jamaïcain. À noter également, une performance du reggaeman montréalais à toute épreuve, Jah Cutta.