Généralement, Yannick Rieu n'est pas associé au jazz électrique ou électronique. Seuls le Non Acoustic Project, paru en 2002, et le tout nouveau CD/DVD Spectrum misent sur une électrification généralisée des instruments dont il fait usage. «Les projets acoustiques ne me satisfont pas à 100%», a expliqué le saxophoniste québécois.

«Spectrum, pour moi, pose le musicien, ce n'est pas tant un groupe qu'une façon de penser ou de visualiser la musique. C'est un projet organique: j'écris des structures simples qui font rejaillir la complexité à travers l'improvisation. Les thèmes et les structures émergent alors, se crée un enchaînement de «cellules de composition» que je perfectionne dès leur apparition. À ces «cellules», je veux donner une direction claire tout en en favorisant l'évolution permanente. J'aime qu'il y ait un rapport entre chacune d'entre elles.»

 

Pendant huit mercredis consécutifs de l'automne 2007, Yannick Rieu avait réuni des musiciens au Dièse Onze, un bar de la rue Saint-Denis, afin d'y poser les bases de Spectrum, qu'il a enregistrées sur place. «Mais il n'y avait pas encore assez de variations sur les thèmes, a estimé le saxophoniste québécois. Je suis retourné en studio et j'ai aussi enregistré des extraits de tournées effectuées en Asie.»

Vu les structures ouvertes de Spectrum et la nature de son instrumentation, il est relativement facile de comparer ce travail de Rieu au contenu des albums Bitches Brew ou In A Silent Way, c'est-à-dire aux prémisses du jazz électrique.

«Je trouve quand même des longueurs dans ces albums de Miles Davis», soulève le lauréat du prix Oscar-Peterson (2006), qui ne tient pas à cette comparaison directe. «Dans mon travail, admet-il néanmoins, il y a aussi des longueurs et j'essaie de les corriger au fur et à mesure que ça évolue. Ça, il faut le faire en jouant, on s'en rend compte à l'usage.»

Ouverture d'esprit

Pour mener à bien les destinées de Spectrum, un terme qui n'a rien à voir avec le défunte boîte montréalaise, mais plutôt à l'esprit d'un album fétiche de Billy Cobham paru dans les années 70 (aussi intitulé Spectrum), Yannick Rieu préconise la réunion de musiciens qui ne sont pas nécessairement associés au jazz.

«Mon choix porte d'abord sur des artistes qui ont l'esprit ouvert; des musiciens polyvalents, mais qui ont une voix et une technique fortes. Je n'aime pas trop diriger, en fait; lorsque je choisis un musicien, je sais ce qu'il pourra donner.»

Ainsi, Spectrum mise sur une communauté dont les représentants varient d'un concert à l'autre. Le week-end dernier, par exemple, Yannick Rieu a passé deux soirées au Dièse Onze avec un alignement qui ne sera pas tout à fait le même pour sa prochaine tournée en Chine, et qui précédera son passage au Festival international de jazz de Montréal - prévu à L'Astral le 8 juillet.

«Jean-Sébastien William et Jocelyn Tellier, par exemple, ne sont pas exactement des guitaristes de jazz - Jean-Sébastien accompagne Térez Montcalm alors que Jocelyn tourne avec Mara Tremblay. Rémi-Jean Leblanc est un autre jeune musicien de grand talent; il a son vocabulaire à la basse électrique comme il l'a à la contrebasse. Le batteur Samuel Joly n'est ni jazz ni rock, mais quelque part entre les deux. Superbe! Au Festival de Montréal, il sera remplacé par Philippe Melanson; Rémi-Jean et Jean-Sébastien seront accompagnés par Dan Thouin aux claviers», a annoncé leur leader.

Yannick Rieu, lui, jouera exclusivement du soprano. «Je le préfère avec les instruments électriques», a expliqué le souffleur.

Voilà qui ne confine pas notre jazzman à l'électrification pour autant.

«Je fais aussi évoluer le contenu de Saint-Gervais, un album acoustique en trio, paru en septembre 2007. Chacun de mes projets poursuit son existence en parallèle. J'aime voyager afin d'aller à la rencontre de nouveaux musiciens, j'aime aussi voyager à l'intérieur de ma musique.»