Après nous avoir éblouis avec Close to Paradise à l'automne 2006, Patrick Watson et sa bande lancent un album très attendu, Wooden Arms, dont ses artisans sont fiers, à n'en point douter.

Affalés dans les fauteuils confortables des bureaux de Secret City Records, Simon Angell, Mishka Stein et Patrick Watson accordent les interviews à la chaîne. Nous aurons droit à un respectable maillon.

 

Les musiciens montréalais viennent à peine d'obtenir le CD, ils arborent de larges sourires de satisfaction. Pochette ocre, dessins minimalistes, figures organiques où le corps humain se trouve en symbiose avec la terre. Voici le tout nouveau Wooden Arms.

«Le graphisme de la pochette, c'est pour l'esprit folk du projet; la musique et les chansons y sont différentes, diversifiées, à tel point qu'il nous a semblé utile de trouver un concept visuel unificateur. Dans la même optique, nous avons pris soin de trouver l'enchaînement idéal des séquences instrumentales et des chansons afin de raconter une bonne histoire, aussi pour que chaque moment fort puisse se suffire à lui-même. Advienne que pourra, il faut maintenant monter sur scène», lance Patrick Watson, que d'aucuns considèrent comme l'un des plus doués artistes anglos jamais sortis du Québec.

«Nous avons voulu faire un album de science-fiction folk», précise le chanteur, pianiste, auteur et compositeur, avant de fournir un exemple pour illustrer le choix de cette étiquette aussi insolite qu'accrocheuse. «Dans un vieil épisode de Twilight Zone, il y a cet homme frustré de ne pas pouvoir lire au travail. Il se réveille un jour, plus personne autour de lui. Il se rend à la bibliothèque pour enfin réaliser son rêve de grand lecteur, il casse ses lunettes... et ne peut plus rien lire du tout. Étrange et touchant. C'est un peu dans cet esprit ce qu'on a voulu faire ces chansons.»

Ainsi, un commis voyageur (Traveling Salesman) vend «des morceaux d'esprit» et «de la distance entre nous et le ciel». Ainsi, des hommes retirent leurs peaux, les plantent dans le sol pour les faire repousser, les cueillir, les revêtir et vivre un nouveau départ, un peu à la manière des herbes qui poussent au lendemain d'un incendie de forêt (Fireweed).

La chanson Big Bird In A Small Cage, elle, s'inspire d'une véritable histoire que raconte Watson: «Je me suis retrouvé chez un musicien qui possédait des centaines de cages. Une d'entre elles était beaucoup trop petite pour l'oiseau qui s'y trouvait. Un soir, nous étions à La Nouvelle-Orléans dans un petit bar où se produisaient des bluesmen très solides. Simon (Angell, le guitariste) leur a alors demandé de monter sur scène. Ça faisait peur de se mesurer à eux! Ce tout petit endroit, si plein de musique, m'a alors fait penser à cette trop petite cage de l'oiseau.»

De meilleurs musiciens

Wooden Arms a été enregistré partiellement en Islande (aux studios Greenhouse, chez un proche collaborateur de Björk), partiellement en France (au studio La Frette que possède l'amoureux de Marie-Jo Thério), mais surtout à Montréal (studios Breakglass et 105).

Méthode de travail? «Nous n'avions pas de plan, nous avions des idées, répond le chanteur. Chacun a voulu apporter beaucoup de soin à son propre jeu, de manière à lui donner le plus de personnalité possible. Au bout du compte, j'ai le sentiment que cet enregistrement ne ressemble à aucun autre.»

Le bassiste Mishka Stein risque un commentaire: «Chacun d'entre nous est meilleur musicien qu'il ne l'était avant la création de cet album. Nous nous connaissons mieux, nous nous sommes inspirés d'autres musiques, nous nous sommes influencés mutuellement.»

Et Patrick d'en remettre une couche: «Toutes les personnes à qui nous avons fait écouter ce nouvel album l'ont préféré au précédent.»

Ouais, ouais, pousse l'avocat du diable. Rien de plus normal. L'environnement immédiat d'artistes reconnus a tôt fait de devenir un port de... complaisance. Alors là, Pat Watson est visiblement agacé par la remarque.

«Nos amis, nos connaissances et nos collègues musiciens ne se gênent pas pour nous critiquer durement, rétorque-t-il. Si nous faisons mal les choses, nous avons tôt fait de l'apprendre. Nous évoluons dans un environnement très compétitif, constitué d'artistes ambitieux et doués. La pression du public? Elle ne peut être comparable à celle exercée par notre entourage.»

Mishka renchérit: «Depuis la fondation du groupe il y a huit ans, nous avons toujours vécu dans cet état d'urgence.»

Un vrai groupe

Ce concert d'opinions mène à croire qu'on fait face à un groupe et non au groupe d'un chanteur. Watson corrobore: «À l'époque, nous avions créé un groupe qui portait mon nom. La situation a évolué, le nom est resté.»

«Le nom du groupe, ajoute Simon Angell, n'est pas important. Prenez Lonely Dear, c'est un groupe, mais tout est entièrement créé par un seul des membres. À l'inverse, les musiciens de Sheryl Crow l'ont poursuivie, car ils prétendaient avoir participé à la création de ses chansons. Je ne sais trop qui a gagné, mais... Tout ça est arbitraire.»

«En tout cas, complète Patrick, je suis d'avis qu'un vrai groupe donne de bien meilleurs concerts que des musiciens au service d'un auteur-compositeur-interprète.»

«Dans six mois, prévoit Simon, nos nouvelles chansons auront vraiment changé; ce sera vraiment autre chose. Nous ne sommes pas statiques.»

On comprendra que les prochaines représentations montréalaises (mercredi et jeudi à La Tulipe) sont les étapes d'un long work in progress. Et que l'approche sur scène sera beaucoup plus directe que ce qui a été joué et arrangé en studio. Rien à voir non plus avec cette rencontre mémorable avec Karkwa, que Patrick Watson et ses collègues préfèrent associer aux souvenirs merveilleux plutôt que de l'immortaliser sur DVD.

Avant La Tulipe, il nous reste à savoir de quoi le chanteur est le plus fier. La réponse viendra sans hésitation: «Wooden Arms est un album différent, audacieux, mais que le grand public peut saisir d'emblée à cause des chansons et des mélodies. Nos expériences peuvent y être comprises par de vastes auditoires qui, normalement, ne s'y intéresseraient pas. Ce qui est d'autant plus motivant, c'est qu'il y a encore plusieurs pas à franchir dans l'interprétation de ce matériel.»

Patrick Watson, en spectacle à La Tulipe les 29 et 30 avril, à 21h.