Ne cherchez pas de sonorités latines sur le nouvel album de Lhasa. Ni même un mot d'espagnol. Lhasa de Sela, qu'on présente souvent simplement comme une chanteuse d'origine mexicaine, a choisi d'explorer la face cachée de son identité sur son troisième disque à paraître mardi: ses racines américaines.

L'une des raisons pour lesquelles on est tombé amoureuse avec La Llorona, le premier album de Lhasa de Sela, c'est sa voix grave, profonde et intense. Impossible de rester de marbre devant cette jeune chanteuse de 25 ans qui chantait à s'en fendre l'âme. Son âme a tenu le coup et, plus qu'un repère, cette façon dramatique de chanter a fini par s'imposer comme un élément capital de son univers musical.

Or, la toute première chose qu'on remarque à l'écoute de son nouvel album, c'est qu'elle chante d'une voix claire et haute qu'on ne lui connaissait pas. Tout un choc, même si Is Anything Wrong, la première chanson du disque, est d'une grande douceur avec ses accents de harpe et de pedal steel. Son chant n'est pas aussi gracile sur tout l'album, mais il n'est jamais aussi emporté qu'il a pu l'être sur El Desierto ou De Cara A La Pared.

Ce virage vocal, Lhasa l'a entrepris après avoir connu des problèmes de voix au cours de sa dernière tournée. En prenant des cours de chant, elle a découvert que sa voix «naturelle», n'était pas celle qu'on lui connaissait jusqu'ici. «Maintenant, je suis attirée par quelque chose de plus naturel, par l'aisance vocale», expose-t-elle.

Sa voix grave était une façon pour elle d'enraciner l'émotion. De correspondre à l'esthétique qu'elle avait en tête. «Je n'ai jamais été dans les acrobaties vocales, souligne-t-elle. Mon désir était d'aller le plus loin possible dans l'émotion. C'est encore ce que je cherche, mais d'une manière un peu différente.»

Déjouer les attentes

Lhasa n'est pas idiote. Elle sait fort bien que son nouvel album provoquera un mouvement de recul chez ceux qui la suivent depuis longtemps. Parce que sa voix a changé, parce qu'elle n'y chante qu'en anglais et qu'elle y explore, à sa manière, des musiques américaines: le folk, le country et le blues acoustique.

Sa propre mère, pourtant américaine, a elle aussi été déroutée à la première écoute, se contentant de dire que ce disque était «so different» des autres.

«C'est ce qu'elle dit lorsqu'elle n'aime pas quelque chose! s'amuse Lhasa. Après quelques écoutes, elle a commencé à mettre ses attentes de côté et à entrer dans l'album.»

L'idée de ne pas satisfaire les attentes ne semble pas lui déplaire. «Ça ne me déplaît pas du tout, insiste-t-elle. J'ai besoin de ça. Enregistrer un disque pour combler des attentes, ce serait la mort pour moi. Ce serait faire du surplace.» Se contenter de reprendre une formule éprouvée serait même «une insulte» à la musique qu'elle sent encore en gestation en elle.

Ce qui l'amuse encore plus dans tout ça, c'est de constater que «lorsque des gens ont des attentes, ils ne font plus confiance à leurs oreilles».

Son image de chanteuse «mexicaine» a déjà incité des Français à lui demander si elle parlait français, alors qu'ils venaient d'assister à un spectacle au cours duquel toutes ses interventions entre les chansons avaient été faites dans cette langue.

Elle a encore plus rigolé en lisant que des gens trouvaient ses chansons moins bien lorsqu'elle chante en anglais, car elle a un accent! Lhasa est née dans l'État de New York. Elle a passé son enfance entre les États-Unis et le Mexique, mais sa langue maternelle, c'est bel et bien l'anglais...

Rêve américain

La part américaine de la mosaïque identitaire de Lhasa n'a jamais été mise de l'avant au Québec, où on préfère de loin la percevoir comme une chanteuse mexicaine. «Ça m'a arrangée, moi aussi, d'oublier pendant un certain temps que j'étais américaine, avoue la chanteuse. Quand je suis arrivée ici, je me suis plongée dans la culture francophone, alors qu'il aurait été bien plus facile pour moi de m'intégrer au milieu anglophone puisque je parlais déjà la langue.

«Montréal, pour moi, était une ville francophone, poursuit-elle. L'anglais et mon américanité ne m'intéressaient pas à ce moment-là. J'avais plutôt envie d'explorer le français et l'espagnol. Ça me faisait rêver. Maintenant, c'est l'anglais qui me fait rêver.» Elle évoque un retour à soi motivé par la maturité - elle aura 37 ans cette année. «À partir d'un certain moment, d'un certain âge peut-être, on cesse de chercher qui on est en regardant vers l'extérieur», suggère-t-elle.

L'explication, Lhasa l'ose surtout parce que le contexte de l'entrevue l'y contraint. Sinon, elle se contenterait sans doute de justifier ses choix par deux formules qui reviennent souvent au cours de la discussion: «ça me fait rêver» ou «ça ne me fait plus rêver».

Lhasa rêve bien sûr de se faire entendre aux États-Unis, mais pas dans l'espoir de devenir riche et célèbre. Pour obtenir du succès, elle n'aurait qu'à refaire un autre album comme La Llorona, son disque le plus vendu à ce jour. Elle avoue avoir songé à répéter la formule, à l'époque. La tentation était grande. La peur de stagner au plan artistique a cependant été plus forte.

Si elle rêve de chanter aux États-Unis, c'est parce qu'elle a envie du contact avec le public américain. Elle a déjà goûté au plaisir de chanter en espagnol au Mexique, pour des gens qui comprenaient non seulement tout ce qu'elle disait, mais aussi toutes les références culturelles. Elle aimerait vivre la même chose au sud de la frontière, tout simplement.

Elle n'ira toutefois pas à n'importe quel prix. Pas question de se tuer à la tâche en faisant 10 heures de camionnette entre deux spectacles dans des trous. Lhasa s'en remet plutôt à sa bonne étoile: «Il faut que la vie nous donne un petit coup de main aux États-Unis.»

La Llorona (1997) Léger grondement, de la pluie qui tombe, un violon plaintif, on ne sait pas encore à qui on a affaire au début de De Cara A la Pared. Puis, survient cette voix, presque susurrante, mais poussée par une force qu'on devine plus qu'on perçoit pour le moment. Peu à peu, la voix se fera un brin plus grave, un brin plus rauque et quand arrive le vent chaud, puissant et emporté de El Desierto, on est déjà conquis. Mêlant influences gitanes, espagnoles et des idées empruntées au jazz, Lhasa se révèle tout simplement renversante. Yves Desrosiers est aux commandes, mais les belles chansons de la jeune chanteuse peuvent également compter sur le talent de Mario Légaré et du percussionniste François Lalonde.

The Living Road (2003) Lhasa conserve ici et là son âme tzigane, mais les musiques, tantôt modernes, tantôt classiques, puisant aux sources du blues (Small Song) ou de la musique mexicaine (La Frontera) s'habillent surtout de mystère. L'image n'est pas très originale en raison du titre du disque, mais elle s'impose: on traverse ces chansons en s'imaginant rouler sur une route secondaire qui n'en finit plus de finir, au beau milieu de la nuit. Peut-être peut-on aussi imaginer une pièce plongée dans la pénombre, peuplée d'amours perdues, de rêves, de désirs, d'aveux. Les percussions poétiques et variées de François Lalonde installent une atmosphère légèrement tendue. L'utilisation du vibraphone, du glockenspiel, de la trompette, du lap steel et de violons pincés donnent aussi au disque une couleur très particulière, élaborée avec soin.

Lhasa (2009) Enregistré live en studio, presque sans retouches, Lhasa se révèle étonnamment folk et dépouillé. «J'avais envie de me fier à mes goûts, à l'identité des chansons et non à la décoration des chansons. Rien de plus, rien de moins», dit la chanteuse, qui l'a réalisé elle-même. Lhasa poursuit néanmoins sa recherche au plan musical, proposant notamment un mariage inusité et fructueux entre harpe et pedal steel. Elle est entourée d'un tout nouveau groupe: Sarah Pagé (harpe), Joe Grass (guitares, pedal steel), Miles Perkins (basse) et Andrew Barr (percussions), avec la participation de Freddy Koella (guitares).