Storyteller est le cinquième album de Nicola Ciccone. Mais c'est aussi, en quelque sorte, un premier disque: le chanteur, en lice pour les prochains Félix dans les catégories interprète masculin et chanson de l'année, lance pour la première fois un album dans sa langue maternelle, c'est-à-dire tout en anglais (plus deux chansons en italien). Rencontre dans un café de la petite italie avec un auteur-compositeur-interprète québécois doté d'un rare don: écrire aussi bien dans la langue de Michel Tremblay que dans celle de Leonard Cohen et même celle de Luciano Pavarotti.

Cela ne fait pas cinq minutes que nous sommes assis sur la terrasse, en plein trottoir, devant un populaire café du boulevard Saint-Laurent, qu'un copain de longue date de Nicola vient lui serrer la main et échanger quelques mots - en italien - avec lui. Pendant toute l'entrevue, des connaissances, de tous âges et conditions, viendront comme ça, sans façon, lui faire un «briciolo di conversazione», un brin de jasette...

 

La Petite Italie, c'est son quartier, Nicola. Il y est né, il y a vécu, il y vit de nouveau. C'est ici qu'il a appris à parler italien, langue de ses parents, et l'anglais, langue des immigrants de l'époque.

«Pour mes amis et moi, le français, c'était l'affaire qu'on apprenait une heure et demie par semaine, quand j'étais au primaire, expliquera Ciccone à la toute fin de notre entrevue. Je ne m'en cache pas, je me tenais avec des copains pas mal délinquants, et c'est pour me sortir de ce milieu que mon père, qui avait pourtant de la difficulté à joindre les deux bouts, m'a inscrit au collège Mont-Saint-Louis: heille, j'avais 13 ans et je me retrouve entouré de francophones qui riaient de mon accent. Alors, je me suis vite arrangé pour être le gars qui connaissait tout sur la musique, celui qu'on consulte avant la sortie du disque d'AC/DC ou The Cult pour savoir quoi en penser... J'étais Monsieur Musique, tu comprends, tout le monde, y compris les filles, me trouvait cool.»

Et Monsieur Musique trippait, comme nous tous, sur la musique en anglais. En fait, les premiers artistes francophones qui l'ont marqué, ce sont Sol et Yvon Deschamps, dont la maîtrise des mots l'émerveillait. Encore aujourd'hui, avant de monter un spectacle, Nicola Ciccone prend un soin fou quand il écrit ce qu'il appelle ses «monologues», c'est-à-dire les textes qu'il dit entre ses chansons.

Le premier chanteur francophone qu'il a aimé? Jacques Brel. «Et j'avais déjà 19 ans...» Cinq ans plus tard, tout en terminant sa maîtrise en psychologie, Ciccone allait remporter le concours de chanson francophone Ma première Place des arts, obtenir un contrat de disque, connaître le succès avec L'opéra du mendiant, sortir d'autres albums, recevoir notamment le Félix de la chanson de l'année 2004 pour J't'aime tout court...

«J'ai hésité longtemps avant de faire un album en anglais, reprend-il. Je suis entré en studio en même temps qu'on commençait la tournée Nous serons six milliards (à l'été 2007), mais je n'étais pas trop sûr de mon affaire. Même si, depuis mes débuts, j'interprétais en spectacle Me and Bobby McGee. Mais mes propres chansons, comment le monde allait recevoir ça? Et puis, à l'automne, j'ai chanté Little Girl et j'ai bien vu que les gens l'aimaient... et qu'ils m'aimaient pareil (rires). Ça a été comme le feu vert, le O.K., je pouvais essayer, j'ai trouvé le nom de l'album (Storyteller), le conteur d'histoires, parce que c'est ça que je suis, et voilà.»

«Mes chansons, poursuit l'excellent conteur, ce sont comme des intrus qui rentrent chez moi, qui s'installent, pas nécessairement invités, mais que je suis content quand même de rencontrer. Des fois, les intrus arrivent deux à la fois, mais je ne suis pas doué pour les conversations à trois; alors, je prends une des chansons et je lui parle - je veux dire que je la travaille. En français, les intrus s'installent pour deux ans, le temps que je fasse un nouvel album, et je m'y attache énormément. En anglais, la différence, c'était que les intrus vivaient en moi depuis longtemps - il y a des chansons qui datent de sept, huit ans sur Storyteller. Et j'avais une trentaine de chansons, de quoi faire deux albums, parce que dans le fond, ça fait 10 ans que je l'écris, ce disque... C'est pour cela que j'ai l'impression que je me suis beaucoup plus «réalisé» sur cet album, au sens technique du terme: j'avais plus de distance envers les chansons que d'habitude, je n'hésitais pas à couper, à reprendre, à effacer, à juger de ce qui était bon ou pas. Et peu à peu, j'ai installé comme un petit village, où vivent mes chansons...»

Des chansons aux allures de fables, avec des personnages comme James Melody (qui incarne la puissance des chansons) ou Jack Daniels&Me (référence, bien entendu, à la dive «boésson»). Il chantera une dizaine de ses chansons anglaises pendant son nouveau spectacle au Casino de Montréal, fin octobre, plus une dizaine de ses succès en français et quelques morceaux en italien: «Bref, ça ne sera pas bilingue, ce sera trilingue!»

«Pour Storyteller, j'ai fait quelque chose que je n'avais pas fait depuis longtemps, conclut-il. Quand je l'ai reçu, je me suis assis sur mon plancher de bois franc et je l'ai écouté. Eh bien, je te jure, c'était comme quand j'étais ado et que je prenais l'autobus 80, sur avenue du Parc, pour descendre jusque chez Sam The Recordman et aller m'acheter une cassette de musique. Je la développais dans l'autobus du retour, j'arrivais chez moi et je l'écoutais, assis sur mon plancher de bois franc. Dans mon monde très modeste, c'était ma fortune à moi... Tu comprends, la musique ne changeait pas «le» monde, elle me changeait «de» monde. Et c'est encore le cas aujourd'hui...»

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Storyteller, de Nicola Ciccone, en magasin à compter de mardi et en spectacle au Casino de Montréal, du 29 octobre au 16 novembre.