À 67 ans, la diva aux pieds nus persiste et signe: après avoir subi un «très petit» accident vasculaire cérébral et avoir pris un congé forcé de trois mois, Cesaria Evora refuse de changer son style de vie. La mère de la chanson capverdienne a déjà repris la route, qui la mène à Montréal.

«Voudriez-vous que je m'arrête?»

Pensez donc. Suggérer à la chanteuse capverdienne de ne plus faire de tournées longues et harassantes, de se modérer, cela équivaut à lui demander de chausser des bottes de construction sur scène! Bien évidemment, on lui répond par la négative. Mais non madame, il ne faut pas vous arrêter, un bon artiste ne doit pas s'arrêter.

 

Au bout du fil, on sent un petit soulagement, la conversation peut se poursuivre sans source d'irritation.

«Je conserve mes habitudes», résume Cesaria Evora.

Depuis son émergence au début des années 90, la superstar des musiques du monde vogue sur un long fleuve tranquille que les problèmes de santé ne semblent en rien affecter. Son approche ne s'est jamais vraiment transformée, sa dizaine d'albums et ses milliers de concerts sont le reflet d'une identité stable.

«J'ai fait énormément de spectacles, j'ai été honorée à plusieurs reprises, j'ai un public qui m'a toujours suivie. Je compte poursuivre ainsi.»

Est-ce assez clair?

Il y a néanmoins un mystère Cesaria: sa magie opère sans évolution tangible, sans sparages créatifs, sans qu'elle modifie quoi que ce soit de son esthétique initiale (ou si peu). Même attitude sur scène: pas d'élans passionnés, un certain immobilisme, alcool et cigarettes, mêmes mélodies, mêmes inflexions, même morna, même spleen de l'archipel capverdien, même créole portugais et les salles sont toujours pleines. Partout où elle passe, c'est-à-dire sur tous les continents de cette planète, c'est idem.

«Je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'explications à fournir, estime la chanteuse. Il y a en effet une grande fidélité entre mes fans et moi. Le public veut de moi, j'adore mon public, nous sommes ensemble tant que ça dure. Peut-être sommes-nous mariés à vie! Nous verrons bien»

Son nouveau spectacle, annonce-t-elle, se fonde sur le répertoire de Rogamar, un album lancé en mars 2006, autour duquel elle greffe ses grands succès - Sodade, Mar Azul, Angola, etc. «Rogamar a été bien accepté, c'est pourquoi mon spectacle est construit autour», se justifie la diva en toute simplicité.

Ses enfants, les musiciens

Autre variable de la mystérieuse équation Cesaria: les musiciens réunis autour du pianiste Fernando Andrade, alias Nando, aux côtés de la chanteuse depuis 1999. Nando est également le musicien central de Rogamar, auquel ont collaboré moult grosses pointures, dont le violoncelliste et arrangeur brésilien Jacques Morelenbaum - qui a tissé les cordes pour Caetano Veloso et Henri Salvador, notamment.

«Ma relation avec mes musiciens, estime la dame, est familiale: ils me voient un peu comme une mère et moi je les vois comme mes enfants, car je les connais tous depuis longtemps, surtout ceux qui sont issus du Cap-Vert. Il y a un respect mutuel.»

Cesaria Evora, il faut le dire, est non seulement la mère symbolique de ses propres musiciens mais aussi de l'entière communauté des chanteurs et musiciens du Cap-Vert. De toute évidence, elle assume ce rôle. «Fantcha, qui vit aux États-Unis, elle est un peu comme ma petite-fille. Et il y a tous ces jeunes Capverdiens qui arrivent sur le circuit de la chanson. Entre nous, les rapports sont très bons.»

Jointe à Paris, Cesaria Evora dit conserver sa résidence principale au Cap-Vert, dans l'île de São Vicente. «J'y ai mes habitudes, ma famille, mes amis. C'est là que je préfère être lorsque je ne travaille pas. Ma petite part de mon pays, je n'ai ni l'intention de la vendre ni de la prêter. Chaque année, je passe plusieurs mois là-bas, j'y reçois mes amis, je gère ma maison, je redeviens une femme au foyer.» Et dans le reste du monde? A-t-elle des publics préférés, chouchous?

«Pas vraiment, répond-elle, j'ai été bien accueillie partout. Je garde toutefois un attachement particulier au public français, où j'ai fait mes débuts sur la scène internationale. C'est là qu'on m'a découverte hors du Cap-Vert.»

Et le public québécois?

«J'ai d'excellents souvenirs de mes tournées chez vous. Je ne sais même pas combien de fois j'y suis venue, j'ai perdu le compte! À Montréal, il y a toujours un interprète qui m'accompagne et qui me donne les avis du public et qui me fait la traduction pour les interviews - comme c'est ici le cas. J'ai aussi un frère, Manuel, qui vit à Montréal et à qui je compte rendre visite - il y est retraité avec sa famille, après avoir travaillé pour la pétrolière BP.»

Pourquoi changer tout ça, au fait?

Cesaria Evora, en spectacle le 26 septembre à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.