Un jour qu'il lisait Jardins d'éclats, de Thérèse Renaud, Alexandre Belliard s'est rendu compte qu'il n'avait jamais entendu parler d'aucune des trois pionnières de la Nouvelle-France qu'évoquait la poétesse de Refus global: Marie Rollet, la femme de Louis Hébert; Hélène Boullé, mariée à Samuel de Champlain alors qu'elle avait 12 ans; tout comme Marie Archambault, femme de Gilles Lauzon, un des premiers habitants de Ville-Marie, qui donna 13 enfants à la colonie naissante.

Ce constat d'ignorance - «J'étais en état de choc! Je ne connaissais pas mon histoire...» - est à l'origine du vaste projet, historique et chansonnier, Légendes d'un peuple, dans lequel Alexandre Belliard a investi tous ses intérêts et toutes ses énergies depuis 2011: trois CD où le Québécois d'ascendance bretonne traite, en chansons, de personnages, d'événements et de lieux importants dans l'histoire de la francophonie nord-américaine.

Cette semaine sort le Collectif de Légendes d'un peuple, un CD de 13 pièces «historiques» interprétées par autant d'artistes qui ont accepté de porter dans l'histoire les histoires de Belliard, un grand conteur. Des naturels, des surprises et des découvertes...

Que Richard Séguin chante Félix - Pieds nus dans l'aube, le premier extrait - coule de source: Quand le roi heureux se repose/Le P'tit bonheur est orphelin. Personne ne tombera sur le dos non plus en apprenant que Paul Piché, lui-même une légende du pays à faire, est du nombre (Papineau) ou que Chloé Ste-Marie se joint à la poétesse innue Joséphine Bacon pour une chanson sur les non-relations entre les Premières Nations et les «conquérants».

«Ce collectif, c'était mon projet original d'une grande fresque historique», nous disait hier Alexandre Belliard de sa résidence d'Ulverton, dans les Cantons de l'Est - «un pays loyaliste» - qui se trouve, précise-t-il, sur le chemin Gore, du nom du général qui commandait les troupes anglaises à Saint-Denis le 23 novembre 1837, seule victoire des Patriotes.

Des gros noms

La «fresque» est peut-être dans les cartons de Spectra Musique (Identitaire), coproducteur du Collectif sur lequel on retrouve (trois générations) des gros noms de la maison: le vieux Séguin, le jeune Patrice Michaud qui chante Maisonneuve, et Vincent Vallières, un ami à qui Belliard a refilé peut-être la meilleure chanson du disque: La star du rodéo, du nom d'un recueil de Denis Vanier (1949-2000).

Le Collectif de Légendes d'un peuple ramène à la mémoire deux autres noms de la poésie d'ici: Eudore Evanturel, premier «poète maudit» du Québec, qui revit avec Jorane, et Gaston Miron, «poète national» bien dur à oublier quand il est question des Légendes d'un peuple, à qui le duo Marie-Hélène Fortin et Stéphane Archambault, de Mes Aïeux, rend hommage dans En un seul peuple rapaillé. De Miron à Vanier...

«J'ai découvert l'oeuvre de Denis Vanier au cégep [Édouard-Montpetit] quand un professeur m'a parlé du recueil Le clitoris de la fée des étoiles, raconte Alexandre Belliard, qui a déjà fait dans la punk poésie dans le temps de Los Guidounos. Je suis devenu un fan et j'ai payé jusqu'à 150$ pour certains de ses recueils...»

Le lien historique direct entre Miron et Vanier reste cette fameuse Nuit de la poésie du 27 mars 1970 à laquelle ils ont tous deux participé. Six mois avant que les «bulldozers d'Octobre» ne demandent à la Liberté/De montrer ses papiers/À cinq heures du matin, comme le chante si justement Éric Goulet dans Libertés surveillées.

Dans les pionnières, Mara Tremblay évoque cette Marie Rollet, «à l'origine de neuves espérances», et Alexandre Désilets s'est glissé dans la peau de... Marie-Anne Gaboury. Belliard continue son devoir de mémoire dans Émilie et Norasque où Salomé Leclerc fait revivre la ruée des Canadiens français vers l'or du Klondike, tandis que Yann Perreau rappelle que Riel «dérange encore».

Dans ce Collectif pour la mémoire collective, Alexandre Belliard s'est réservé un personnage historique contemporain: Yvon Dechamps, dont il évoque «les contes à s'coucher moins niaiseux».

En attendant de lancer les tomes 4 et 5 de ses Légendes d'un peuple qui, prises pour ce qu'elles sont, peuvent aussi permettre à pas mal de Québécois ignorants de leur histoire de se coucher moins niaiseux eux itou.